P comme Pompiers : Les pompiers d'Épehy
Un peu de la même façon que la fanfare, les pompiers font en quelque sorte partie intégrante du paysage villageois. Ils constituent tout naturellement l'une des composantes de la société et sont d'autant plus considérés avec sympathie que les services qu'ils rendent à la population relèvent du bénévolat, même si, de temps à autre, on les brocarde parfois un peu : vous souvenez-vous peut-être de la chanson "Nous avons bien rigolé, avec les pompom, avec les pompom... avec les pompiers" du chanteur Georges Milton (1886-1970) ?
Bref, le corps des pompiers apparaît comme une "institution" nécessaire, sérieuse et compétente, indispensable et respectée de tous, et qui donne l’impression d'avoir toujours existé. Et pourtant !
Le premier corps de sapeurs-pompiers a été créé par Napoléon 1er (décret du 18 septembre 1811) pour la ville de Paris1. C'était un corps militaire (ceux de la capitale le sont encore aujourd'hui) d'où ce nom de "sapeurs-pompiers", "sapeurs" désignant les soldats du Génie, corps auquel ils ont été rattachés, et "pompiers" parce qu'ils utilisaient la pompe à bras pour lutter contre l'incendie (avant les pompes à vapeur, puis à moteur).
On trouve, parmi les pompiers, à la fois des professionnels et des volontaires. Ces derniers constituent en France 79 % de l'ensemble, et la quasi totalité en milieu rural. Sans être réellement des militaires, ils en ont cependant repris certaines caractéristiques : grades et appellations, uniformes, "casernes"...
Avant les pompiers
Comment était donc organisée la lutte contre le feu avant la création des pompiers ?
Nous possédons pour Épehy plusieurs délibérations municipales du début du XIXe siècle qui permettent de s'en faire une idée. Une étude minutieuse des archives permettrait peut-être de trouver des textes plus anciens, les incendies ayant toujours été l'un des plus redoutables fléaux des villages, avec leurs constructions aux toits de chaume et leurs granges où s'entassaient les récoltes et le foin.
Dès 1813, une Ordonnance de Police rendue par le maire Eugène Camus (1811-1813), pose une interdiction qui, aujourd'hui, nous étonne : "…considérant qu'on ne peut trop surveiller les fumeurs dont que la majeure partie se permettent de fumer dans les rues, ruelles, courts et qu'il n'en peut provenir que des grands accidents … en conséquence.. il est défendu à tous cabaretiers, cafetiers limonadiers... ou autres qu'ils vendent des boissons d'après dix heures du soir" (Épehy, le 11 septembre 1813).
On peut en conclure que les cafés étaient des lieux fréquentés non seulement pour boire, mais aussi pour fumer, choses qu'il était donc interdit de prolonger à l'extérieur. Le même souci était d'ailleurs déjà apparue dans une Ordonnance précédente du même maire : "Il est défendu d'aller avec des lanternes dans les batiments pailleux... défense de fumer dans les rues, courts, ruelles et batiments pailleux".
Son successeur à la tête de la Commune, Adrien Magniez (1813-1817) ira plus loin dans la prévention des incendies : il ne se contente pas de reprendre les interdictions déjà émises, mais il organise des rondes de nuit, conformément à une récente circulaire du Préfet.
"Vu qu'il importe au bon ordre et à la sécurité publique qu'il soit fait des rondes de nuit pour surveiller les vagabonds et d'autres accidents qui pourraient survenir, nous avons fait dresser une liste de tous les individus payant des contributions directes, qu'elle sera affichée à la principale porte d'entrée de la maison commune dimanche prochain vingt neuf présent mois, lequel cette ronde de nuit commencera la nuit au 29 au 30 présent mois. Elle sera composée de quatre hommes qu'ils seront obligés de faire patrouille le long des nuits...
il leur sera ordonné d'arrêter tous ceux qu'ils jugeront suspects et sans bons papiers, et d'après dix heures du soir ils arrêteront tous les individus qu'ils trouveront rodant dans les rues sans lanterne, ils veilleront à ce qu'il ne reste personne dans les cabarets aussi d'après dix heures du soir… les individus qu'on arrêtera soit de la commune soit des étrangers seront conduits au corps de garde et le lendemain matin conduits à la mairie pour être statué ce qu'il appartiendra... les individus qu'ils feront des rondes de nuit seront munis de chacun une pique qu'ils remettront le lendemain matin au chef d'escouade..." (Épehy, le 8 octobre 1816).
On peut s'étonner que ces rondes n'aient été constituées que par "les individus payant des contributions directes", mais c'était pourtant là un choix très logique : seuls ceux qui payaient des impôts et avaient donc des biens à protéger pouvaient être intéressés à l'organisation de ces rondes et accepter de les mener de façon sérieuse. Les pauvres de la commune, n'ayant rien à perdre, ne se seraient pas sentis concernés. À noter qu'il s'agit aussi de "surveiller les vagabonds" et d'arrêter des "étrangers" à la commune, catégories sociales naturellement suspectes, tout comme les "individus... sans lanterne".
Le maire Armand Derche (1818-1826) est celui qui, à l'aide de plusieurs Ordonnances, a achevé de perfectionner ce système de surveillance de l'ordre public, en particulier pour prévenir les incendies.
En 1819 il rédige deux Ordonnances de police sur le sujet. L'une porte sur l'état des cheminées : "Nous Armand Derche, maire de la commune d'Épehy, vu la visite des fours et cheminées qu'elle a été faite le vingt cinq et vingt six présent mois par un maçon délégué par Monsieur Hebert, maire de la commue de Fins en vertu des ordres de Monsieur notre Sous-Préfet dont il a résulté de cette susdite visite qu'on a trouvé les fours et cheminées à raccommoder, savoir... Dotigny, Loy, Levert...", au total 18 noms d'habitants dont la cheminée est à "raccommoder". (Épehy, le 27 aout 1819).
L'autre Ordonnance reprend des interdictions déjà publiées et les précise (Fig.1):
"Art.4° … défense de fumer dans les rues, ruelles, courts... 5° il est encore défendu de porter aucun fallot dans les rues, ruelles et batiments pailleux d'autre qu'avec des lanternes bien fermées" (12 septembre 1819).

Fig.1.Ordonnance de Police du maire Armand Derche - 12 septembre 1819
(Coll. C. Saunier).
En 1820, une autre Ordonnance d'Armand Derche reprend l'organisation des rondes de nuit :
"…vu que d'après ce qu'il est dit ci-dessus qu'il est essentiel de faire des rondes de nuit nous avons fait dresser une liste de tous les individus aisés de notre commune qu'elle sera affichée dimanche prochain devant la porte principale et d'entrée de notre maison commune Cette garde se montera depuis neuf heures du soir jusqu'au lendemain à cinq heures du matin. Elle sera composée de six hommes qu'ils seront tous munis d'une pique, et un individu aisé de la commune qu'elle le recevra momentanément la nuit avec du feu et une chandelle allumée et ce dernier est tenu de nous rendre compte le lendemain de ce qu'il s'est passé la nuit et est recommandé à cette garde d'arrêter tout gens sans aveu et sans être porteur de bons papiers.
Et d'après le tableau ci-dessus les individus qu'ils refuseront de faire cette ronde de nuit d'après en avoir été avertis par notre garde champêtre il sera dressé procès verbal contre lui et envoyé de suite à monsieur le juge de paix de notre canton pour être statué ce qu'il appartiendra". (Épehy, le 29 février 1820).
Comme précédemment, la commune ne fait confiance qu'aux "individus aisés" pour participer à ces rondes. Elles sont constitués de six hommes, et non plus de quatre, et quiconque refuse d'en faire partie risque d'être sanctionné.
Les pompiers
On ne sait à quelle date la municipalité d'Épehy a décidé de créer un véritable corps de pompiers tel que le prévoyait le décret napoléonien ; ce fut sans doute dans la seconde moitié du XIXe siècle, et, là aussi, une recherche dans les archives municipales permettrait de le préciser.
Dès le début, les sapeurs-pompiers ont été sous l'autorité des maires, et une loi de finances prévoyait, à partir de1898, une subvention d'État pour leur organisation et fonctionnement. Après 1913, la lutte contre les incendies devint un poste de dépense obligatoire dans le budget des communes2.
Le premier témoignage photographique que nous ayons de l'existence de pompiers à Épehy date de 1923-1924 (Fig.2).

Fig.2. Les anciens, 1923-1924 (Coll. C. Saunier).
La photo est prise devant le café provisoire de Léon Marquant, à l'emplacement de l'actuelle pharmacie.
Identification des personnes :
En haut, dans la porte : à gauche, Maurice Objois, à droite Léon Marquant
Debout, de gauche à droite : Delval, (la pompe à bras), Albert Héluin dit "Albert Tiot Jean", Eugène Héluin, Fursy Héluin, Denis Récopé, Léon Damez, Paul Gamblon légèrement en arrière, un verre à la main, Toffin, Sombrun, un verre à la main, et Jules Objois avec son clairon,
Assis, de gauche à droite : Arsène Prévot, Victor Degroise, Joseph Despagne, Gaston Objois, Jules Marquand.
La photo suivante (Fig.3), qui a déjà été présentée dans l'article sur le T comme Tissage (Fig.17), a été prise vers 1950-1952.

Fig. 3. Sur le perron de la mairie, la moto-pompe offerte par Raoul Trocmé vers 1950-1952
(Coll. Mme Plisnier).
On reconnaît, de gauche à droite :
- en bas : Sylvain Marquand, Jules Marquand, Paul Dubois, et à droite René Lempereur, Marcel Savary,
- en haut : Charles Blondel, Émilien Lemaire, Paul Gamblon (chef des pompiers), Léa Trocmé (la marraine), Jules Objois, Henri Labarthe, René Espérance,
au total 11 pompiers, y compris le porte-drapeau.
Dans les mêmes années, vers 1955, une photo (Fig.4) nous fait découvrir, à l'occasion d'une revue, l'ensemble des moyens (hommes et matériel) dont disposaient alors les pompiers d'Épehy.

Fig.4. Le personnel et le matériel des pompiers, vers 1955 (Coll. C. Saunier).
De gauche à droite :
Clotaire Mafille, maire de la commune (1949-1959) qui présidait la cérémonie, Jules Marquand, André Hugo, Charles Blondel, Paul Dubois,
Sur le camion : Jules Objois (en calot), François Félix (en calot), Louis Boniface (sur le marchepied), Alfred Cuvilly, René Lempereur, Émilien Lemaire, Léon Carlier, Antoine Groenen, René Carlier, Sylvain Marquant.
Une dizaine d'années plus tard (Figure 5), les pompiers posent devant le Monument aux Morts, mais, bien sûr, quelques têtes ont changé...

Fig.5. Devant le Monument aux Morts, les pompiers d'Épehy vers 1960 (Coll. C. Saunier).
Devant le Monument (est-ce la raison pour laquelle ils sont si sérieux ?), on reconnait, sur les deux premiers rangs :
Jean Thomas, Alain Boitel, Guy Devillers, José Boniface, Norbert Sallier, Jean-Marie Delaplace, Guy Wydra, Louis Boniface (lieutenant), Maxime (dit Antoine) Groenen,
et au dessus : Alphonse Schoovaerts, Charles Blondel.
Par une sorte de tradition, les pompiers participent toujours volontiers à l'animation de la vie du village et le public les retrouve toujours avec plaisir. La Fig.6 en donne un bon exemple : elle nous montre l'équipe de football des pompiers qui fut opposée à celle des musiciens, sans nous dire ni la date de ce match (amical, n'en doutons pas), sans doute vers 1970, ni qui furent les vainqueurs... Derrière eux, la cheminée du tissage Trocmé.
De gauche à droite :
Debout : Joseph Schoovaerts, Charles Leperchey, Charlie Blondel, Willy Boitel, José Moiret, Gilles Stazyk,
À genoux : René Leroy, Pierrot Schoovaerts, Joël Leroy, Gérard Housseman, Daniel Vasseur, Bernard Bernier.

Fig. 6. L'équipe de foot des pompiers, vers 1970 ? (Coll. C. Saunier).
Parmi ces animations, il y avait chaque année (et il y a toujours), bien sûr, le traditionnel repas des pompiers. Quelques photos nous le rappellent.
Ainsi celle où l'on voit, sous les coupes gagnées par les pompiers (Fig.7), le Colonel Sorlin, chef du SDIS, en compagnie de Janine Roland (maire de 1971 à 1990) à sa droite, et de son épouse, à sa gauche.

Fig.7. Repas des pompiers, 29 février 1976 (Photo C. Saunier).
Mais la plus grande fête des pompiers d'Épehy eut lieu, sans nul doute, le 5 mai 1979. C'est, en effet, à cette date que fut inaugurée leur nouvelle caserne, rue de la gare, ainsi que le hangar construit sur le terrain de sports.
Deux photos (Fig. 8 et 9), nous font découvrir la caserne, d'abord en construction, puis terminée. N'oublions pas qu'elle fut construite par les pompiers eux-mêmes, sans professionnels extérieurs, chacun apportant sa part de travail et de connaissance.
Fig. 8. La construction en cours, juin 1978. Fig. 9. Le jour de l'inauguration
(Photos C. Saunier)
Les diverses photos de cette inauguration montrent que la fête fut réellement grandiose.

Fig. 10. Conseillers municipaux et pompiers, le jour du l'inauguration (Photo C. Saunier).
De gauche à droite :
les conseillers René Pauchant, Pierre Devillers, René Prévot, Bluette Théry, André Lobry, Gustave Loy, Janine Roland, puis les pompiers : le Commandant Petit, Jean-Claude Delaplace, etc.

Fig.11. Le Commandant Petit, de la caserne des pompiers d'Amiens, avril 1979 (Photo C. Saunier).
Les héros de la fête (Fig.12 et 13).

Fig.12. Le groupe des pompiers (Photo C. Saunier).
De gauche à droite : Georges Wydra, José Moiret, Gérard Housseman, Bernard Bernier, René Leroy, Cazy Kulej, Joël Leroy, Pierre Schoovaerts, Charles Leperchey, Charlie Blondel, Joseph Schoovaerts, Gilles Stazyk, Daniel Vasseur, Jean-Pierre Boniface, Alain Boitel (lieutenant). {Merci à Jérémie Schoovaerts qui nous a aidés à compléter cette liste}.

Fig. 13. Une belle tablée (Photo C. Saunier).
Parmi laquelle (de gauche à droite) : Georges Wydra, Claude Boitel, Régis Cazé... Gilles Stazyk.
Les Fig . 14, 15 et 16 ne laissent aucun doute : on n'avait pas lésiné sur la qualité du repas, ni sur les quantités !

Fig. 14, 15 et 16. Le traiteur est M. Sauvage (à gauche), aidé de M. Devillers (Photos C. Saunier).
Et voici, après l'inauguration des nouveaux bâtiments et pour terminer avec l'équipement des pompiers, le parc automobile dont ils disposaient dès 1980, présenté à l'occasion du 14 juillet.

Fig. 17. Le parc automobile des pompiers d'Épehy en 1980 (Photo C. Saunier).
Bien sûr, les fêtes animées par les pompiers venaient animer ne se limitaient pas uniquement au village et touchaient parfois un autre public. Ainsi les deux exemples suivants nous conduisent à jeter un œil vers les villages voisins (Fig. 18 et 19).
Sur la photo 18, nous voyons Robert Lourme (sans doute dans l'un de ses tours de chants préférés) accompagné de Mme Bourdon, de Villers-Faucon (à sa droite) et de Mme Lourme ; également de Villers-Faucon, à sa gauche.
Avec la photo 19, nous sommes à Templeux-la-Fosse pour y rencontrer des personnages tout droit sortis du XIX° siècle, entre autres la Comtesse Mlle Daru (3° à partir de la gauche), maire du village. C'était pourtant en 1980.
Fig. 18. Repas de pompiers Fig.19. Personnages 1900
(Photos C. Saunier)
Concluons cet article par une dernière photo, celle d'un feu, allumé cette fois par les pompiers d'Épehy, mais aussi étroitement surveillé par eux :le traditionnel feu de la Saint-Jean, le 25 juin 1978. La lune était également au rendez-vous.

Fig. 20. Le feu de la Saint-Jean, 1978 (Photo C. Saunier).
A l'occasion de la cérémonie du 3 septembre 2022 lors de laquelle la caserne a pris le nom du capitaine Alain Boitel, Gérard Housseman nous a donné un document de 1990 montrant l'évolution du corps de sapeurs pompiers et la dynamique insufflée avecl'arrivée de celui-ci à sa tête.


Ainsi que la photo des pompiers en 1980

Notes :
1 Nos informations générales sur les pompiers sont tirées de l'encyclopédie Wikipédia sur Internet.
2 Ajoutons que, au début des années 2000, les pompiers ont été "départementalisés" : ils sont désormais rattachés directement au SDIS du département, mais toujours financés par les communes. En même temps, leurs moyens ont été "rationalisés" par un regroupement des petits centres de première intervention (CPI), ce qui a entraîné la disparition de certains d'entre eux. D'où un certain, mécontentement des pompiers qui ont ainsi perdu le contact avec la commune, comme des élus et citoyens des communes dont les CPI ont été supprimés. (Source : Wikipédia).