ÉPEHY - QUOI DE NEUF ? MAI 2005– N° 62
LE QUARTIER DE LA GARE (2° article)
par Robert Bulan et Claude Saunier
Entrons dans la cour des marchandises.
Il y manque encore, à ce jour, quelques voies et aiguillages, la lampisterie, deux bascules, la grande halle aux marchandises et le sémaphore. Par la position de ses bras, le sémaphore indiquait si un train était en route depuis la gare précédente (Fig.1), et les consommateurs accoudés au bar-tabac n'avaient que le temps de vider leur verre et de venir sans tarder sur le quai de départ.

Fig. 1. Le sémaphore de la gare d'Épehy (Coll. C. Saunier).
La saison des betteraves débutait le 1° octobre, se terminait rarement avant la mi-janvier, et apportait un trafic de chariots dits flamands attelés de quatre chevaux boulonnais qu'on a peine à imaginer aujourd'hui. Le betteravier passait d'abord à la bascule de la Sucrerie d'Escaudoeuvres, face à l'hôtel Virgile, ou à celle de Sainte-Émilie, seule existante à ce jour, touchant le café-hôtel Ogier, ou à celle d'Iwuy, près du sémaphore, ou enfin à celle d'Eppeville près des quais des Établissements Gauthier-Leconte.

Fig.2. La bascule d'Escaudoeuvres et son équipe (Coll. C. Saunier).
À gauche, Robert Monier, puis Charles Hugo. En cravate et col blanc : le chef de la bascule.
À l'extrême droite : Gustave Loy (père).
Ces quatre bascules avaient leur personnel qui, en plus de la pesée, prenait un échantillon pour faire poids net et tare. Il restait encore à calculer le taux de sucre par un personnel spécialisé dans un autre petit bâtiment. Enfin chaque chariot allait se vider, à la fourche, dans la wagon adéquat.
Cela n'empêchait pas les autres activités : arrivée et départ des grains, pailles, fourrages, engrais, etc., des Établissements Gauthier (Fig. 3), ainsi que le mouvement des marchandises entreposées sous la grande halle à destination des commerçants, artisans, entreprises et particuliers qui, s'ils n'avaient pas le temps ou les moyens, utilisaient les services de camionnage de M. Paul Ricq pour la livraison à domicile.

Fig.3. Ce qu'il restait, le 3 juillet 1983, des magasins Gauthier-Bedu-Leconte
qui ont laissé la place à la Coopérative Céréalière (Photo C. Saunier).
Les hivers étaient plus rudes qu'aujourd'hui. Neige, verglas, pluies ne manquaient pas, et dans les champs d'humbles travailleurs arrachaient des centaines d'hectares de betteraves avec la fourche courte en forme de lyre (voyez les brocantes cet été) en plein vent, en plein froid. Le quartier de la gare était alors recouvert uniformément d'une couche de bonne boue des champs de 5 à 10 cm d'épaisseur où nous pataugions de gré ou de force. Courageuses aussi, et discrètes, étaient les dames des quatre établissements qui, à 22 h.30 et plus, transformaient la salle de leur café-hôtel ou tabac recouverte d'une boue tenace, en un lieu éclatant de propreté jusqu'au... lendemain matin. Voilà donc l'activité du quartier de la gare, en plein hiver, alors que d'autres régions de France ronronnaient devant leur cheminée ancienne.
Passons du côté des voyageurs. L'Express du matin, avec retour au soir, permettait de passer 6 à 8 heures à Paris. Localement, on pouvait aller à Cambrai ou à Péronne en une demi-journée. On venait accompagner parents et amis au train, les attendre à l'arrivée. On MONTAIT À LA GARE à tout propos : chercher son tabac, boire un verre, jouer aux cartes. La salle d'attente était rarement vide, même tardivement. La gare était un spectacle, éclairée à la lampe à pétrole qui laissait des zones d'ombres mouvantes parfumées à l'odeur de pétrole si caractéristique. C'était un but de promenade, un lieu de rêves.
Le courrier arrivait et partait par le train,amené par la brouette des Postes grâce à 2 employées, Hélène et Claire, qui étaient loin d'être muettes.
Le personnel de la gare devait être nombreux, si l'on songe à tous les postes qu'il fallait pourvoir : chef de gare, guichetier, contrôleur, aiguilleur, agent d'entretien, agent de manœuvres, etc. Le trafic passant était intense, surtout du Nord vers le Sud. Ce qui explique que nous, les gosses, comptions, en retour vers le Nord, 90 wagons attelés à deux locomotives.
Bien sûr, l'interconnexion entre les réseaux Nord et Vélu se passait fort bien. Ces multiples activités favorisaient le commerce des 4 cafés du quartier, et pourtant personne n'a fait fortune. La Fête de la Gare, organisée depuis toujours par les commerçants du quartier, était fixée au 5° dimanche de juillet ou au 1° dimanche d'août. Elle était très courue, avec un bal sous toile, un concert de la fanfare (Fig.4) et de multiples attractions.

Fig.4. Concert par la fanfare d'Épehy, à la Fête de la Gare de 1925 (Coll. C. Saunier).
Petit à petit, la concurrence rail-route s'imposait et, en 1955, on ne prit plus de voyageurs sur Saint-Quentin Épehy (réseau Tiot'Vélu) et il n'y eut plus de trafic du tout de Vélu à Épehy. La SNCF, en 1964, assurait encore 4 trains sur le réseau Nord et un supplémentaire le samedi, sous la débonnaire autorité d'Albert Loyer, chef de gare. Mais dès le 15 juillet 1970, il n'y eut plus que des cars SNCF. Depuis, la nature reprend ses droits et de beaux bouquets de saules poussent parmi les voies, cherchant à attirer quelques pique-niqueurs sans doute. Même la fanfare d'Épehy avait "calé", remplacée au concert de la Fête par celle du Ronssoy, chef Armand Lauret, et ceci dès le 3 août 1964.
Quelques anecdotes :
- Tempête le 17 juin 1965 : un wagon circule tout seul.
- 17 novembre 1966 : le vent emporte des tôles à endives sur la voie SNCF.
- 13 décembre 1966 : ouverture d'une sape de 14-18 sur une piste de la gare.
- 9 octobre 1967 : 10 minutes de retard pour l'Express du soir, suite à une promenade des bœufs de Michel Corbeau sur les voies SNCF.
La vie continue...

Fig.5. François Bulan, retraité
(Photo famille Bulan).
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Fig.6. Hôtel-café-tabac François Bulan,
année 1930 : Toute la famille est là
(Coll. Café-Hôtel Bulan).
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