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L'abécédaire d'Épehy
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Le 23/12/2022 à 09h55 |
Le village - T comme Tisseurs
T comme Tisseurs : Épehy et ses tisseurs Comme tous les villages de Picardie, Épehy comptait, au cours des XVIII° et XIX° siècles, une proportion considérable de tisseurs (ou tisserands) parmi sa population active. Ce fut, dans les campagnes surpeuplées du XIX° siècle, une activité d'appoint devenue indispensable pour les ressources complémentaires qu'elle apportait, mais ce siècle fut à la fois celui de l'apogée du tissage en milieu rural et celui de son déclin. Une statistique rapporte ainsi que "l'industrie cotonnière employait, en 1843, dans un rayon de 50 km autour de Saint-Quentin, près de 25 000 travailleurs à domicile", tandis qu'à la fin du même siècle, l'instituteur A. Dumont écrit, à propos d'Épehy : "Depuis 20 ans, la population a diminué de 400 habitants. Beaucoup de tisseurs sont partis travailler dans les tissages mécaniques de Saint-Quentin"1. Ajoutons que la population du village était, en 1900, de 1741 habitants, comme l'indique alors l'Annuaire de l'Administration municipale du canton de Roisel. Ces deux derniers documents (Monographie de l'instituteur et Annuaire), bien qu'ils soient essentiellement administratifs, apportent malgré tout quelques informations sur les tissages et les tisseurs en activité au village avant 1917. A. Dumont signale, sans plus de détails, dans la rubrique "Petite, moyenne et grande industrie" de sa monographie : "Tissage à la main : laine et coton" et "Un tissage mécanique mû par des moteurs à pétrole", ajoutant toutefois, dans la rubrique "Améliorations et créations possibles" : "Le salaire étant excessivement réduit, il serait à désirer que les droits d'importation fussent augmentés, notamment sur la laine, à cause de la concurrence étrangère". Ainsi, en deux phrases, l'instituteur avance les deux raisons qui, à son avis, ont provoqué le déclin du tissage, à Épehy comme ailleurs en Picardie : d'une part la mécanisation de la production et sa concentration progressive en ville, d'autre part la concurrence des produits étrangers (laine) fabriqués à bas coût qui décourage l'industrie nationale (on voit que ce problème ne date pas d'aujourd'hui !). Le second document, l'Annuaire du Canton, apporte plus de détails sur l'activité textile au village. Il nous apprend que le tissage mécanique est celui des établissements Leriche, fabricant de tissus de coton glacés. Il donne aussi la liste de dix autres "fabricants de tissus" exerçant au village : Boudeville & Blondeau, Cazé, Cocrelle, Colombier, David, Gautier, Legrand, Marquet, Mennecier, Vélu-Pélerin, sans préciser leur activité ni s'il s'agissait de tisserands individuels ou d'ateliers plus importants. Pour compléter notre information, nous disposons heureusement (et une fois de plus2) des souvenirs d'Andréa Censier-Marichelle. Ce texte, d'une belle écriture manuscrite (Fig.1), permet de compléter la liste ci-dessus et de préciser à la fois les productions des tisseurs et souvent leur localisation dans le village avant 1917.
Avant 1917 : une activité et sa destruction
Il occupait un vaste espace à l'angle de la rue de la gare, face à l'école-mairie d'où, au premier plan de la photo ci-dessus, l'on voit sortir trois écoliers accompagnés par une dame. On peut se rendre compte de l'emprise considérable de cette propriété Leriche sur la Grande Rue si l'on observe que sa façade s'étend depuis le carrefour jusqu'à l'actuel n° 38 (le bâtiment en briques qui lui succède étant d'ailleurs le magasin de tissage de Léon Franqueville), soit une longueur d'environ 50 mètres, l'extension côté rue de la gare étant à peu près la même si l'on se réfère à la photo aérienne du village détruit (voir Fig.1 de l'article "H comme Hôtels après 1919").
La photo 3 permet d'apprécier l'élégance du bâtiment de cette "fabrique" dont on ignore malheureusement à peu près tout : date de création, origine des capitaux, nombre d'employés et même nature des produits fabriqués : Andréa Censier signale simplement des "toiles et différents tissus", tandis que l’Annuaire du Canton mentionne, on l'a vu, des "tissus de coton glacés". La destruction systématique du village par les troupes allemandes en 1917 réduisit à néant, comme le reste, ce magnifique bâtiment (Fig. 4 & 5) qui ne fut jamais reconstruit.
Nos deux listes de tisseurs, celle de l'Annuaire du Canton et celle d'Andréa Censier, ne concordent pas exactement, sans doute parce que la première doit être plus ancienne (1900 ?) que les souvenirs de notre informatrice : des tisseurs ont pu disparaître entre temps, et d'autres apparaître. Ainsi, l'Annuaire cite les "fabricants de tissus" suivants qu'Andréa Censier ne mentionne pas : Boudeville et Blondeau, Cazé, Cocrelle, Gautier, Legrand, mais celle-ci en ajoute des nouveaux : Léon Franqueville, Émile Despagne, Flèche & Cocry, Trocmé-Pérard. De façon plus succincte, Gustave Loy signale dans ses "Souvenirs"3 l'existence des "Tissage Leriche, Tissage David et Maigret, Commission Marquet, Tissage Vélu Pelerin..., Ateliers de Broderie Fleish & Cocry, de Colombier, d'artisans brodeurs à domicile, les Ateliers Mennecier...". L’orthographe des noms varie parfois selon les auteurs.
Les deux photos que nous en avons donnent à penser qu'il s’agissait d'un établissement relativement important, qui n'atteignait cependant pas les dimensions du précédent. Pour l'anecdote, rappelons qu'à la date du 28 novembre 1914, Gabriel Trocmé écrit dans ses Carnets de Guerre4 : "J'ai dû mener le Commandant chez Colombier où il a acheté des cols en broderie pour sa fille (15 ans). Il est avocat à Mannheim, a 44 ans, pas sympathique et très dur".
Le document estimatif des dommages de guerre6 le dénomme "magasins de tissage" et non pas atelier, et le décrit comme constitué de deux pièces de chaque côté de la porte, et d'un grenier. Les murs étaient entièrement en briques. Hauteur totale de 3 mètres, avec grenier en plancher de chêne, couverture en tuiles "de premier choix". Deux fenêtres donnaient sur la rue, comme le montre la Fig.8 (volets fermés). Le même document signale aussi l'existence, de l'autre côté de la cour et dans le prolongement de la maison d'habitation, d'un autre "magasin de tissage" haut de 3,90 mètres avec couverture d'ardoises. Ces magasins servaient donc d'entrepôts, tant pour la matière première provenant des tissages de la ville que pour les pièces tissées qui y étaient renvoyées7. Entre la "fabrique" et le "contremaître" faisant travailler des tisserands à domicile, il y avait également place pour les "ateliers" tels que la broderie Colombier. Un autre atelier de broderie, celui de Flèche (ou Fleish) et Cocry, se trouvait en haut de la Grande Rue, selon Mme Censier, plus exactement à l'angle de la rue Margot en face du café Joseph Lempereur (Fig.9).
De même, à l'actuel n°14 de la Grande-Rue existait l'atelier Trocmé-Pérard qui "faisait ourdir" nous apprend Mme Censier : un mot bien oublié aujourd'hui ! Le travail de l'ourdisseur consistait à préparer les fils de la chaine avant le tissage. Et l'auteur cite quelques autres métiers du textile qui supposaient une réelle qualification du personnel : tisseurs bien sûr, noueurs, brodeurs... et aussi tricoteuses, telle Sidonie Objois (Fig.10) déjà présentée dans un autre article ("H comme Hôtels avant 1917", Fig.8). La légende de cette photo précise que la jeune Sidonie (née en 1875) travaillait chez Lempereur, un l'atelier de tricotage que nos documents ne signalent pas, mais qui était donc bien en activité en 1894. Quittons la Grande-Rue pour rejoindre la rue de la Fraîcheur (actuellement Paul Dubois) où se trouvait l'atelier Mennecier. Ici étaient fabriqués des matelas, des couvertures piquées, des édredons, des couvre-lits et des rideaux.
Fig. 9 bis. Facture des Ets. Mennecier datée du 27 janvier 1925
On notera la grande diversité des produits, bien plus large que celle d'une simple "Fabrique de couvre-pieds" comme indiqué par le titre de cette facture. L'entreprise avait son siège à Saint-Quentin
Le nom de Gustave Mennecier (décédé en 1927) apparaît souvent dans les Carnets de Guerre de Gabriel Trocmé. Il fut conseiller municipal et premier adjoint au Maire, et fut emprisonné quelques jours en 1915 pour avoir voulu donner du pain et des vêtements aux prisonniers russes. Mais les deux hommes s'affrontèrent sévèrement au début 19168 ; par la suite, il fut chargé de la distribution du ravitaillement aux habitants jusqu'à l'évacuation.
Le cas de l'entreprise Plaquet, rue de la Fraîcheur, semble avoir été assez particulier, en quelque sorte à mi-chemin entre la commission, l'atelier et la "fabrique". Sous la direction de Mme Plaquet, elle était, précise Andréa Censier, une "annexe du tissage David et Maigret de Saint-Quentin, fabricant de crin de jacquard et plissé spécialement pour devants de chemise d'homme. En même temps, commission pour tisseurs individuels... Mme Plaquet épluchait (ou épaississait) les toiles". Nos deux autres sources d'information (Annuaire et G. Loy) désignent cette entreprise soit sous le nom de "David", soit sous celui de "David et Maigret". Il existe plusieurs photos montrant des établissements David et Maigret avant 1914, mais il semble bien s'agir de l'usine de Saint-Quentin ou même d'autres, plutôt que de l'atelier d'Épehy (Fig.11 & 12)10. On y dénombre en effet plus de 200 personnes !
La photo suivante (Fig.13), qui représente le bâtiment de cette entreprise à Roisel, donne sans doute une meilleure idée de ce que pouvait être celui d'Épehy, rue de la Fraîcheur.
Reconstruction et déclin
La photo suivante (Fig.15) montre l'intérieur de l'un des ateliers, celui dévolu aux métiers de couverture comme l'indique l'annotation manuscrite. Elle nous apprend ainsi la nature d'au moins l'une de ses productions.
Nous ignorons à quelle date cette usine d'Épehy a cessé de fonctionner, mais on peut vraisemblablement penser qu'elle a dû fermer avec la crise économique des années 1930. En fut-il de même du tissage Paul Olmer pour lequel, hormis les photos ci-dessous, nous n'avons guère d'informations ?
Qui, parmi nos lecteurs, saura identifier quelques-unes de ces personnes ? Un site flamand d'internet présente, parmi de nombreux autres titres concernant les textiles, une "Action de 500 Francs au porteur" des Établissements Paul Olmer et Cie datée du 10 janvier 1921 (Fig.19).
S'il s'agit réellement de la même société, on y apprend qu'elle avait son siège social à Paris mais avait aussi quelque relation avec Lyon. En saurons-nous davantage ?
Quant au tissage Gernez qui lui succéda sur les mêmes lieux (à quelle date ?), voici ce qu'en écrit le site "Patrimoine de France" :
Notes :
Date de création : 09/11/2011 @ 12h07 Réactions à cet article
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