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L'abécédaire d'Épehy
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Le 23/12/2022 à 09h55 |
Le village - P comme Puits
P comme Puits : L'eau et les puits
À Épehy comme sur tout le plateau picard, l'accès à l'eau potable fut sans nul doute une préoccupation primordiale et constante des habitants car, sitôt tombée du ciel, l'eau s'infiltre dans la craie et disparaît. Ici, point de source aisément utilisable : il faut creuser très profond pour atteindre et puiser une eau que l'homme puisse consommer sans danger. Certes, les habitants de la région ont vite trouvé comment conserver une eau qui réponde à leurs besoins non alimentaires (lessives, nettoyages...) et suffise à abreuver les animaux d'élevage. Chaque maison avait sa citerne, au fond et aux parois tapissés de briques, qui recueillait l'eau des toitures1. Chaque ferme avait nécessairement son abreuvoir : l'argile que contient le limon (le loess) assurait une certaine imperméabilité, suffisante pour garder l'eau dans ces "chwés" (ou "chués"). Il existait aussi, au village, des "chués" publics comme celui de Pezières (Fig.1), et ici et là dans les pâtures, des abreuvoirs où les gamins allaient patauger : "En contrebas (de la route du Ronssoy), écrit ainsi Claude Saunier, en s'approchant de la ligne de chemin de fer, une petite mare servait d'abreuvoir et de piscine aux gamins de 1935 et, nus comme des vers, nous choquions les bonnes moeurs et Mlle. Andrée Collet, l'organiste de l'église, excellente pianiste de surcroît"2.
Mais dans ces régions calcaires, pour obtenir une eau convenant à la consommation humaine, la seule solution consiste à creuser des puits. Un travail considérable et délicat, qui devait être réalisé par des connaisseurs, mais aussi un investissement conséquent, une entreprise généralement menée par l'ensemble de la communauté du village ou du quartier. À la recherche de déterminismes simples, des géographes du siècle dernier avaient même cru pouvoir discerner l'existence d'une relation directe entre pays calcaires et habitat groupé (groupé autour du puits) et, à l'inverse, une autre relation directe entre habitat dispersé et pays granitiques où l'eau est abondante parce qu'elle ne s'infiltre pas. Mais on s'aperçut par la suite que les choses ne sont pas si simples... L'essentiel de cet article est tiré d'un inventaire des anciens puits d'Épehy, rédigé et illustré par Claude Saunier et mis en forme par Thérèse Martin-Barjavel3. Dix-huit puits ont été dénombrés de façon certaine dans le périmètre du village et leur emplacement a été déterminé (Fig. 2), auxquels il faut ajouter trois autres situés dans les fermes isolées, soit un total au moins vingt, d'ailleurs proche de celui (18) trouvé pour Villers-Guislain4.
Pour nombre d'entre eux, malheureusement pas pour tous, Claude Saunier dispose de photos anciennes. Leur profondeur va de 50 à 60 mètres, peut-être davantage, car il fallait creuser, sous la craie blanche ou grise, jusqu'aux marnes turoniennes appelées "dièves", qui forment ici le plancher de la nappe phréatique. Gageons que les plus anciens sont ceux situés dans les deux quartiers primitifs du village : le Riez et Pezières. Nous procéderons donc à leur présentation dans l'ordre supposé chronologique de leur création. "Le premier se situe sur la place du Riez couvert d’une dalle en béton, en eau peut-être, et nous l’avons en photo de 1905 environ", écrit Claude Saunier. Les Fig. 3 a, 3 b et 3 c montrent ce puits du Riez, petit bâtiment sur la gauche, tel qu'il se présentait avant la Première Guerre mondiale.
Toujours dans le secteur du Riez, il existait aussi un puits Rue du Corbeau, sur les lieux de l'ancienne Brasserie Durieux. "Il est peut-être encore en eau", écrit Claude Saunier, et, fait notable, "Il a abreuvé le village lors de la grande sécheresse de 1921". Enfin un autre, appelé puits Despagne, existait aussi au n° 1 de la Rue Hérouard. Celui-là a une histoire qui nous touche de près car, au cours de la première guerre mondiale "il a caché au nez et à la barbe des Allemands, explique C. Saunier, une foule de choses et de documents dont des tas de photos que nous publions bien volontiers, dont celle de ce puits d'ailleurs" (Fig. 4). On peut également penser que le puits qui se trouvait à l’angle Rue Comin - Rue Neuve (Fig. 5) comptait aussi parmi les plus anciens du village, compte tenu de sa position dans le même secteur. Claude Saunier nous apprend qu'il avait été comblé, mais probablement assez mal, car "il a choisi de se ré-écrouler sous les pieds de l’abbé Lemaire qui avait arrêté sa voiture juste à cet endroit. C’était en juin 1987". La photo que nous en avons fut prise par les occupants allemands avant qu'ils ne détruisent le village.
Il a donc existé, pour autant qu'on puisse le savoir, un minimum de quatre puits creusés pour approvisionner le secteur du Riez, ce qui donne à penser que ce quartier a dû abriter une population relativement nombreuse. Toujours en périphérie nord-ouest du Riez, deux autres puits existaient encore : l'un "devant le n° 9 Rue Marceau Carpentier, sous une dalle de béton qui, elle-même, a été rabaissée de plus de 80 centimètres pour pouvoir bâtir le mur de l'entrée, d'où invisibilité totale !", écrit C. Saunier. Et enfin un autre "se trouve Rue de la Haie du Pré, face à la ferme Martin, qui est au n° 8 ; il est couvert d'une dalle de béton".
Au quartier de Pezières, le plus ancien du village après celui du Riez, Claude Saunier signale la présence d'un puits "à quelques mètres du chué (abreuvoir), couvert d'une dalle de béton", qui ne figure malheureusement pas sur les photos anciennes que nous possédons. Un deuxième existait de façon sûre, Rue de Pezières, là où habitait Gabriel Trocmé, entre le n° 7 et le n° 9. Enfin un troisième est connu près de la Place Verte, à la périphérie de Pezières (Fig. 6), et Claude Saunier précise qu'il "se trouve au n° 12 de la Rue Entre-Murs-et-Bois, au ras de la Place Verte", ou plutôt "se trouvait, car il a été comblé vers l'an 2000". Qu'en est-il de l'approvisionnement en eau potable des autres secteurs du village ? Dans la Grande Rue (Rue Raoul Trocmé), trois puits ont existé. L'un se situe à l'angle de la Rue des Archers, en quelque sorte également en périphérie du Riez, face à l'ancienne Poste, et Claude Saunier observe qu'il "est décoré d'un beau coupe-racines". Un autre "se trouve intégré dans la propriété du n° 57, couvert d'une dalle de béton : c'était le meilleur puits pour son débit", et le troisième à hauteur des n° 80 et 82 de la Grande Rue, "en limite des anciennes fermes Thierry et Gamblon, avant les murs de la ferme Loiseaux"5. La Rue Neuve comptait pour le moins quatre puits. L'un côté nord (Fig. 7), "est bien caché... au ras du trottoir, mais sous un mètre cinquante de terre du jardin du n° 17 rue Paul Dubois, écrit C. Saunier. Il est soit comblé, soit en eau, on ne sait pas".
Deux autres puits semblent bien avoir existé dans la même Rue Neuve : l'un serait enclavé dans la propriété du n° 6, "et à demi comblé" (C. Saunier), et l'autre au n° 25, "sous une dalle de béton, et en eau sans doute". Enfin un quatrième de trouvait au n° 41 de la rue, là où se trouvait la boulangerie-coopérative. Claude Saunier signale deux autres puits au village, sans doute plutôt à usage privé : celui de la Brasserie Lempereur-Chouin, Rue de la Brasserie, "qui était béant dans la cour depuis des décennies et qui a été comblé il y a plus de 10 ou 15 ans. C'était au n° 12", et "le puits de la gare de chemin de fer, dans le jardinet". Enfin, toujours dans la catégorie des puits privés, l'auteur signale que "la Ferme du Bois a eu aussi son puits", de même qu'à La Malassise la ferme Trocmé, puis Varlop, côté nord ("il est en service et fait l'objet d'un contrôle sanitaire") ainsi que la ferme Dobbels, côté sud. Tout cela n'exclut pas qu'il ait pu encore exister d'autres puits privés dans les fermes importantes, sans oublier qu'il en existe un dix-neuvième, ajoute C. Saunier, "au fond du souterrain, dans la partie encore secrète, car c'était indispensable". Il est tentant de rapprocher la localisation de ces anciens puits et l'histoire de l'occupation du site du village, telle que proposée dans nos recherches. La concentration de quatre puits dans la zone du Riez : Place du Riez, Rue du Corbeau, Rue Comin, Puits Despagne, et de trois autres (Rue des Archers, Rue Marceau Carpentier et Rue de la Haie du Pré) dans son extension occidentale, est remarquable : cet ensemble de huit puits, soit presque la moitié du total des puits du village proprement dit, donne à penser que l'essentiel de la population du village se trouvait historiquement dans cette zone. Situé à proximité de l'ancienne église et, selon toute vraisemblance, également à proximité de la "Tour médiévale", le puits de la Rue du Corbeau peut être supposé le plus ancien du village, même s'il fut repris (et peut-être ré-aménagé) pour les besoins de la Brasserie Durieux au XIXe siècle. Par ailleurs, Claude Saunier observe que, curieusement, il n'existe "aucune indication sur un éventuel puits route du Ronssoy". Pourquoi ? La géologie est-elle en cause (trop grande profondeur de la nappe phréatique ?), ou bien le peuplement du secteur a t-il été plus tardif et les habitations trop peu nombreuses pour justifier un tel investissement ? Il semble cependant qu'il en ait existé un "deux maisons après la grande maison d'Andrée Collet, organiste", ce qui demanderait confirmation. Dans le secteur de Pezières, on ne connaît l'existence que deux puits, l'un près de l'abreuvoir et l'autre Rue de Pezières, auxquels s'ajoute celui de la Place Verte à la périphérie du quartier. On peut penser que cette zone ne fut pas véritablement, dans l'histoire ancienne du village, une zone de peuplement : deux puits suffisaient aux besoins en eau potable de la grange monacale et de ses dépendants vivant à proximité du "Château". Les puits de la Place Verte et de la Grande Rue partie Nord (comme, peut-être, celui, privé, de la ferme Loiseaux), sont à rattacher une période postérieure d'extension du périmètre de la ferme monacale. Dans la Grande Rue, deux puits, trois au maximum si l'on ajoute celui de la Rue des Archers, ce qui est peu, et dans la Rue Neuve quatre. Faut-il en conclure que, dans ces rues, les besoins en eau étaient moindres parce l'habitat moins dense, ou bien que les puits étaient principalement privés, comme ceux des fermes isolées (Malassise, Ferme du Bois), de la Gare et de la Brasserie Lempereur ? Épilogue Équipements stratégiques, les puits furent systématiquement mis hors d'usage par l'armée allemande quand elle entreprit, en février 1917, de détruire tous les villages établis à proximité de la ligne Hindenburg. "Tous les puits du village, 22 à ma connaissance, écrit Claude Saunier, avaient été contaminés (par les obus à gaz ou autres) et en partie comblés, souvent avec des troncs d'arbres ou d'énormes branches, par les Allemands". L'une des premières tâches, pour les évacués rentrés au village, fut de remettre le plus rapidement possible ces puits en état. "Une petite équipe, 3 hommes, un chevalet, une poulie, un treuil et ses câbles firent un travail formidable en nettoyant tous ces puits. On reconnaît sur deux cartes postales l’un de ces hommes, c’est le jeune Arthur PREVOST, 17 ans à l’époque6, qui était préposé à la descente au fond de ces puits, soit à 50 ou 60 m de profondeur" (Fig. 8 a et b).
On y voit le treuil, le trépied, les troncs d'arbres sortis du puits, et les habitations provisoires. Sur les deux photos, l'homme à gauche, une main sur un tronc, est Arthur Prévot. Dans les années 1925-1930, le village fut doté d'un réseau d'eau potable provenant du puits de la route d'Honnecourt et emmagasinée au château d'eau proche du cimetière, et des bornes fontaines furent installées le long des rues (Fig 9 et 10). Devenus inutiles7, les puits furent délaissés et, par mesure de sécurité, couverts d'une dalle, voire comblés.
Localisation des anciennes bornes-fontaines :
Le troisième et dernier épisode de cette histoire se place dans les années 1960, quand les habitations furent peu à peu directement raccordées au réseau. À leur tour les bornes-fontaines devinrent inutiles et disparurent complètement en 1972.
Avec elles disparaissaient définitivement les points d'eau publics, ces espaces de rencontres qui pouvaient être tantôt conviviales tantôt polémiques, et qui avaient animé durant des siècles la vie du village. Et aujourd'hui, un seul château d'eau (la Boule bleue) alimente tous les villages du canton. Cette centralisation est-elle, mieux que la dispersion d'autrefois, la garantie pour tous et à tout moment, d'une eau potable de qualité et en quantité suffisante ? Notes : Date de création : 06/08/2009 @ 17h51 Réactions à cet article
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