Sommaire

Fermer Petite bibliothèque

Fermer Les origines du village


L'abécédaire d'Épehy

Fermer Le village

Fermer Les champs

Fermer Instantanés

Fermer À propos de...

Fermer Au fil des ans...

Fermer Galerie de Portraits

Fermer 1914-2014, le centenaire

Fermer La Reconstruction

Fermer Courrier des Lecteurs

Recherche



Lettre d'information
Pour avoir des nouvelles de ce site, inscrivez-vous à notre Newsletter.
S'abonner
Se désabonner
Captcha
Recopier le code :
27 Abonnés
Annuaire de liens
Visites

   visiteurs

   visiteurs en ligne

Record de visites

   visiteurs

Le 23/12/2022 à 09h55

Le village - R comme Riez

R comme Riez : Le Riez d'Épehy

 

Le texte sur les origines d'Épehy (pp. 28-34) a tenté d'élucider ce que fut le quartier du "Riez", notamment en proposant de le considérer comme le lieu où fut édifié, puis détruit, le château ou plutôt la motte féodale (ou castrale) du seigneur Sohier le Roux. Cela se passait vers les Xe - XIIe siècles. Les lignes qui suivent voudraient tenter de mieux préciser les choses.

Commençons par examiner ce dessin très parlant qui montre, à partir de fouilles archéologiques réalisées à Doudeauville (sud-est de Boulogne-sur-Mer), ce qu'a pu être une motte féodale comme il y en eut beaucoup dans la région (Fig.1).

La motte castrale de Doudeauville (62)
Fig.1. La motte castrale de Doudeauville (62)
(d'après le site http://www.archeologie-aerienne.culture.gouv.fr)

"Hypothèse de reconstitution d'une motte castrale rencontrée en France du Nord. Le château en bois est perché sur une motte de terre, entourée d'un large et profond fossé, et dont l'accès se fait par un pont. Une basse-cour entoure l'ensemble fortifié par un fossé palissadé (Aquarelle de reconstitution Jean-Claude Blanchet)".

À l'intérieur du périmètre délimité par la palissade : le château (ou plutôt la tour) fortifié, l'église-chapelle et la basse-cour. Et si l'on suit la description de l'historien Georges Duby, il faut ajouter "une grande maison, un peu plus grande que celle des paysans" dans laquelle vivaient le seigneur et ses hommes entre leurs chevauchées. À l'extérieur : les maisons des paysans et leurs champs. Le long de la palissade, les chemins contournent l'ensemble fortifié et divergent vers les villages voisins.

On a vu, dans le premier texte sur Épehy, que le mot "riez" désigne une mauvaise terre, une terre en friche et, c'en est la conséquence, une zone où l'on mettait les troupeaux à pâturer, appellation fréquente que l'on trouve également à Villers-Guislain ("rue du Riez" devenue "rue du Maréchal Foch"). Il semble assez évident que la version "Hourrier" qu'en donne pour Épehy l'abbé Paul Decagny dans son étude sur le canton de Roisel, résulte simplement d'une mauvaise interprétation. À la question : "Où habitez-vous ?", la réponse : "J'habite au Riez" a pu être comprise comme "J'habite Hourrier", "Hourrier", nom de personne dans le Nord, pouvant être également considéré par l'auteur comme désignant un lieu-dit. La terre y est-elle réellement plus mauvaise qu'ailleurs, au point qu'on ne puisse la cultiver ? Les jardiniers du lieu pourraient nous le dire... mais l'explication est probablement autre.

Le secteur Est d'Épehy
Fig. 2. Le secteur Est d'Épehy (d'après les feuilles cadastrales AC, AD, AE)
Échelle approx. 1:2 500e

Légende des rues et places :
1 : Rue de la Brasserie - 2 : Rue Raoul Trocmé (ex. Grande Rue) - 3 : Rue Louis Georges (Route d'Honnecourt) - 4 : Rue du Ronssoy - 5 : Rue des Archers - 6 : Rue Comin - 7 : Rue Neuve - 8 : Rue Sauvé - 9 : Rue Marceau Carpentier - 10 : Rue Hérouard - 11 : Rue des Marronniers - 12 : Rue du Corbeau - 13 : Rue du Riez - 14 : Place du Riez - 15 : Rue de Villers-Faucon - 16 : Rue Marie Vion

À partir du modèle de Doudeauville, il devient plus facile d'imaginer ce qu'a pu être la motte féodale d'Épehy et d'en interpréter les traces encore décelables de nos jours. En effet, dans les paysages villageois comme dans ceux des villes (et à la différence des paysages ruraux profondément remaniés par le remembrement des terres), il existe des éléments suffisamment fixes pour traverser les siècles : ce sont, outre les monuments religieux, les chemins et les limites de parcelles. De ce point de vue l'analyse du cadastre, grâce aux détails qu'il présente, est susceptible d'apporter des informations intéressantes.

On peut penser qu'une fois détruites la tour, la maison seigneuriale et la palissade, et sans doute parce que personne n'osait s'approprier ce terrain relativement étendu, le lieu resta pendant un certain temps espace inhabité et surtout terre inculte laissée en friche, c'est-à-dire "riez" : un terrain désormais inutilisé et devenu communal par la force des choses, en ce sens que les paysans habitant sur le pourtour et précédemment assujettis au seigneur, y mettaient leurs bêtes à pâturer. Et puis, les années passant et la population augmentant, et lorsqu'il apparut certain que ni le seigneur ni ses descendants ne reviendraient, cet espace fut occupé, mis en valeur et cultivé comme le reste et construit... et l'on oublia Sohier le Roux et son château ! Si, durant un certain temps, le lieu fut réellement en friche, la raison en fut donc davantage d'ordre social plutôt qu'agronomique.

Les rues

Ainsi, pour Épehy, observe t-on nettement sur le cadastre (Fig. 2) le dessin ovale de l'ensemble de la fortification dont le réseau des rues a conservé à peu près la forme : rue Hérouard, rue Comin, rue du Corbeau, rue du Riez, puis l'ovale est un peu déformé au sud-est, et l'on est tenté, au vu de la photo de Google et du plan cadastral, de le prolonger à mi-distance entre les rues de Villers-Faucon et du Riez.

Autre trace, cette curieuse limite rectiligne de propriétés, visible sur une bonne longueur juste au centre de l'ovale, qui fait penser au chemin dessiné sur la Fig. 1 au départ de la Tour, la différence étant qu'ici la chapelle seigneuriale devait plutôt se situer là où le dessinateur a placé la Tour de Doudeauville. En effet, comme l'indique Gabriel Trocmé, l'église du XVIIe siècle "fut construite à côté de la vieille chapelle", mais elle le fut au nord de la rue du Corbeau (comme l'église actuelle), tandis que la "vieille chapelle" devait se situer de l'autre côté de cette rue, dans l'espace protégé par la palissade, et donc à peu près à l'extrémité de ce axe rectiligne.

Le calvaire dont Claude Saunier signale l'existence précisément à cet endroit1, ne serait-il pas un souvenir de la chapelle qui était sur cet emplacement ? "... près des limites de la brasserie, écrit-il, il y a toujours sur un petit monticule une croix de calvaire et on peut, paraît-il, entrer sous ce monticule et rejoindre le souterrain"? Cela pourrait signifier qu'à un moment dans l'histoire, peut-être vers le XVe siècle (période des premiers souterrains), cette chapelle, certainement plusieurs fois rénovée au cours des siècles, a pu abriter l'entrée d'un souterrain, avant que l'église construite en 1618 la remplace dans ce rôle.

Quant à la Tour, elle se localisait peut-être là où Henri Lempereur avait édifié son château miniature (Fig. 3), ou bien, et assez logiquement, vers le centre de l'ovale, à l'extrémité de l'axe rectiligne, à moins que ce fut là le lieu de la maison seigneuriale, difficile d'avancer une hypothèse...

Enfin où pouvait se trouver la porte ouverte dans la palissade ? La divergence des chemins au sud de l'ovale, l'un vers Villers-Faucon, l'autre vers Loeuilly et Vermand, donne à penser qu'elle pouvait se situer à cet endroit, mais il y a aussi cette curieuse rue des Marronniers. Perpendiculaire à l'axe principal, débouchant en droite ligne vers l'est sur la rue de Villers-Faucon, elle rappelle étonnamment, avec son autre extrémité qui s'arrête au centre de l'ovale, le plan de la Fig.1. Sait-on quelle propriété ou construction elle a pu ainsi desservir ? S'agit-il d'une allée récente, ou véritablement d'un vestige de l'organisation de l'espace seigneurial ?

La zone du "Château Lempereur"
Fig. 3. La zone du "Château Lempereur", croquis de Claude Saunier.

Même si les parcelles ont pu, au fil des ans, être découpées ou regroupées par le jeu des achats/ventes et des héritages, la disposition générale de leurs limites donne des indications sur la genèse du village.

Le plan cadastral montre en effet l'existence de trois principaux ensembles dans la zone ici considérée :

1/ l'intérieur de l'ovale, dont les parcelles sont relativement grandes (moyenne : 1155 m²), généralement allongées dans le sens est-ouest, auquel on peut rattacher, de ce point de vue, la petite zone sud-est (moyenne des parcelles : 1395 m²). Il s'agit là, me semble t-il, du "riez" proprement dit, cette concession seigneuriale devenue déserte que les paysans, apparemment les plus aisés, se partagèrent postérieurement,

2/ à l'ouest de cet ensemble, entre les rues Hérouard et Marceau Carpentier, un bloc constitué de parcelles plus petites (moyenne : 467 m²), mais également orientées est-ouest. On retrouve aussi ces caractéristiques plus à l'est, entre les rues du Riez et de Marie Vion, mais avec des parcelles en moyenne plus grandes (779 m²). Il s'agirait là, à mon sens, à l'ouest comme à l'est, des restes de la "zone périphérique" de la motte castrale, celle où l'on voit, sur la Fig. 1, le village médiéval des paysans regroupés auprès du château,

3/ enfin au-delà, c'est-à-dire à l'ouest de la rue Marceau Carpentier, au nord de la Rue Neuve, de la rue du Corbeau et de la rue du Ronssoy, on retrouve la partie du village dont les parcelles sont pratiquement toutes orientée nord-sud, en fonction d'un ou, plus probablement, de plusieurs lotissements successifs et visiblement planifiés, réalisés postérieurement à l'occupation du "riez" et, plus encore, de l'occupation de sa périphérie.

La place du Riez avant 1914, avec son puits
Fig.4. La place du Riez avant 1914, avec son puits (Coll. C. Saunier)
Au fond, l'église. À droite, maison en grande partie couverte de chaume.

Dans cette organisation globale restent, bien sûr, quelques points d'ombre.

Ainsi, il est difficile de savoir si le quartier au sud de la Place du Riez était inclus dans la concession seigneuriale ou relevait de sa zone périphérique. De même, dans la partie orientale de cette zone périphérique se distinguent deux sous-ensembles : le sud, très semblable à la partie côté rue Hérouard avec ses petites parcelles, et le nord où les parcelles sont en moyenne un peu plus grandes.

La courbe que dessine à cet endroit la rue du Ronssoy est d'ailleurs étonnante ; pourquoi n'a t-elle pas été rectifiée, comme le reste de la Grande Rue, avant de servir de base au lotissement ? Y avait-il là un obstacle (hauteur, construction ou grande propriété) qu'il fallait respecter ? On peut penser ici, bien sûr, à ce qu'écrivait P. Decagny à propos d'Épehy : "Dans ce lieu assez élevé que traversait la voie d'Agrippa, conduisant de Reims à Arras et au Portus Itius, les Romains auront établi un poste secondaire pour en défendre le passage. Comme ailleurs, les rois francs substituèrent à ce poste une forteresse assez considérable...". Quelque trace aurait-elle pu en subsister au moment de la réalisation du lotissement d'Épehy, d'où ces anomalies ?

Quoi qu'il en soit, l'observation montre qu'il y avait là un ensemble très particulier que l'on est, me semble t-il, autorisé à considérer comme la trace de l'ancien village médiéval avec, en son centre, le domaine du seigneur devenu "le riez" après sa destruction (et qui n'aurait été occupé que dans un second temps) et, de part et d'autre, les habitations et les champs des paysans. Cet ensemble, l'ancien Épehy (ou Espauhy) dérivé du Spehiacum gallo-romain, était suffisamment implanté et organisé pour n'avoir pas pu faire l'objet d'une remodélisation lors du lotissement planifié opéré depuis Pezières jusqu'au nord de cette zone.

Une dernière remarque pour conclure.

Les recherches du toponymiste P.L. Rousset permettent de proposer une explication assez originale pour la dénomination "Rue du Corbeau"2. On peut certes retenir qu'il s'agit réellement d'une rue dédiée à cet oiseau, et l'existence de la "Ruelle du Renard", entre la rue Margot et la rue Paul Dubois, semble un clin d'oeil pour confirmer cette interprétation. Mais une autre explication serait également plausible.

L'auteur montre en effet que le mot pourrait venir d'une racine pré-indo-européenne : CAR, COR, CORB, à l'origine des divers "Corbières" fréquents en France (et aussi à l'origine du mot "encorbellement"). Cette racine désigne une hauteur, un promontoire, un mot appartenant à une langue disparue et qui n'était plus compris, pour désigner l'un des points élevés de ce plateau et que la langue française a donc souvent ré-interprétée, comme ici, en fonction du mot "corbeau".

La référence à un passé aussi lointain ne doit pas surprendre, si l'on se souvient que notre région fut occupée par les hommes du Néolithique et même du Paléolithique moyen et supérieur, comme le montre l'outillage préhistorique découvert à Gouzeaucourt, à Honnecourt, à Hargicourt (Gibot, pp.33-36, in Gabet, 1995), et aussi, nous rappelle Claude Saunier, à Roisel et à la briqueterie d'Épehy, c'est-à-dire au Riez.

Notes :
1 Voir le chapitre "S comme Souterrain".
2 Rousset Paul-Louis : Les Alpes et leurs noms de lieux. 6000 ans d'histoire ? Les appellations d'origine pré-indo-européenne. Grenoble. 1988.


Date de création : 08/08/2009 @ 10h03
Dernière modification : 22/03/2011 @ 16h23
Catégorie : Le village
Page lue 1929 fois


Imprimer l'article Imprimer l'article

Réactions à cet article

Personne n'a encore laissé de commentaire.
Soyez donc le premier !

Haut