Sommaire
L'abécédaire d'Épehy
Recherche
Lettre d'information
Annuaire de liens
Visites
Le 23/12/2022 à 09h55 |
Le village - H comme Hôtels (après 1919)
H comme Hôtels : Hôtels, cafés, restaurants et estaminets
Un champ de ruines Ce que trouvèrent à l'emplacement de leur village les premiers Épéhiens de retour au pays était véritablement un champ de ruines. Voici la description qu'en donne un habitant de Villers-Guislain rentrant chez lui et qui traversa Épehy début novembre 1918 : "Parti le 7 de Vitry-le-François, j'arrivai le lendemain matin à 6 heures à Épehy, enfin ce qui reste d'Épehy. La gare : une cabane de berger porte un écriteau au nom du pays, c'est le seul moyen de savoir où l'on est. Il faisait donc nuit au milieu des ruines, j'eus peine à m'orienter, enfin je trouvais un officier anglais qui me conduisit prendre un chocolat dans une cantine installée dans les ruines. Je me réconfortais et couchais avec des Australiens dans une cave (la seule qui reste du village). Le lendemain 9, à la première heure je partis et me fis orienter facilement. À la sortie d'Épehy, je voyais déjà Villers-Guislain, d'ailleurs tous les pays très loin se voient car il n'y a plus d'arbres, c'est le désert"1. "Aspect lunaire, écrit de son côté Gustave Loy (p. 20). On voyait à perte de vue un terrain dénudé, bouleversé, couvert de ruines : plus d'arbres, ou des troncs calcinés. Les rues étaient devenues des sentiers, des pistes où l'on rencontrait quelques abris construits avec des matériaux récupérés dans les tranchées. Quelques habitants privilégiés avaient obtenu une baraque en bois"2. Un photo aérienne allemande (Fig. 1) nous en donne une vue d'ensemble : hormis des murs calcinés, les habitants ont tout perdu ; une fortification entoure encore le village.
Deux photographies au sol permettent de mieux mesurer les dégâts et l'ampleur de la tâche qui attendait ceux qui avaient décidé de rentrer (Fig. 2 & 3). Systématiquement détruit par l'armée allemande comme tous les villages proches de la ligne Hindenburg (dans l'intention de créer un no man's land où les alliés ne pourraient pas tenir), Épehy reçut le coup de grâce lors des violents combats du 18 au 20 septembre 1918 qui libérèrent définitivement le village3.
Les premiers candidats à la "réintégration", selon l'expression alors utilisée, arrivés au début de l'année 1919, connurent donc des conditions de vie extrêmement précaires (un seul point d'eau potable au village, raconte Gustave Loy) et, comme notre voyageur de Villers-Guislain, ils ne trouvèrent d'autres abris que les caves pour leurs premières nuits sur place. Lisons à ce propos le témoignage de Léa Douay (recueilli par C. Saunier) qui relate, entre autres, ses premiers jours de "réintégrée" (Fig.4). La liste des évacués de Berlaimont nous apprend qu'elle était née le 15 avril 1889 à Hargicourt (sur ce document, elle se prénomme Marie) ; elle avait épousé Auguste Despagne, agriculteur né à Épehy le 27 février 1865.
Voici la transcription de ce document : "Arrivés à Berlaimont comme évacués le 20 février 1917. Papa César est mort à Berlaimont le 28 mai 1918 (il s'agit de son beau-père, né le 18 mai 1832). Les faits passés réellement (en) 1914, écrits par Papa : "Le 27 août, arrivée des Allemands à Épehy. Combat dans le village. Nous, nous descendons à la cave. Pillage général. Je loge au moins 500 Allemands du 36e et du 66e de ligne, cuisine et ambulance. Ils me tuent une génisse de 14 mois et une vache de 8 ans. Le 28, logement de 5 uhlans, enlèvement de mon cheval alezan". Suit un épisode quelque peu cocasse se rapportant à la Deuxième Guerre mondiale : "En 1940, le capitaine Giraux, blessé, à l'hospice de St. Benoît. Il est engagé comme palefrenier à Saint-Quentin. Les Allemands ne l'ont pas reconnu et lui ont payé 50 marks. Date de réintégration : le 22 mars 1919. Retour à Épehy. Coucher dans la cave de l'hospice. Il y avait de la neige. Avec le ménage Pelletier (famille de Léon Pelletier, charpentier) et le ménage Delaigle (famille Léonce Delaigle, briquetier). Nous étions 9 civils (?, mot illisible) ravitaillés par les Anglais".
Ces familles Despagne, Pelletier et Delaigle semblent donc bien avoir été les premières à revenir au village, peut-être en même temps que le maire Gabriel Trocmé. Le paysage était vide et aucun bâtiment n'arrêtait les bruits ni le son de la voix. Ainsi Augusta Despagne (Fig. 5), qui habitait à l'actuel n° 1 de la Rue Neuve, affirmait qu'elle pouvait parler avec une personne résidant Rue de la Fraîcheur (devenue Rue Paul Dubois) ; de même Louise Franqueville-Moreaux, habitant au n° 38 de la Grande Rue, appelait à l'heure du repas son frère qui travaillait à la ferme Henri Moreaux, au croisement des rues d'Écosse et Entre Murs et Bois. Les cafés provisoires Nous n'avons que quelques photos de ces débits de boissons provisoires, car les photographes d'alors ne devaient pas être bien nombreux ni bien équipés, et ils devaient probablement penser que de telles baraques n'étaient pas dignes de passer à la postérité !
Le photographe a pris cette photo de la Place de la Gare (Fig.6) le dos tourné à la gare, le seul débit de boissons représenté (et peut-être le seul existant alors ?) étant le "Café de la Gare", apparemment sur le lieu où se trouvera le Café-Hôtel Goubet, puis Bulan. Une trentaine de personnes sont présentes pour la photo : à gauche les tenanciers du Café et quelques habitués dont deux employés de la gare, et au milieu de la route, entre deux groupes de femmes et enfants, d'autres employés de la gare reconnaissables à leur képi, et probablement aussi quelques jeunes ouvriers italiens coiffés de la casquette qu'ils portent souvent sur ces photos du village. On observera que le réseau électrique se remet en place. Existent aussi, de cette même période héroïque, deux autre photos de débits de boissons en matériaux provisoires (Fig. 7 et Fig. 8).
La localisation de la première (Fig. 7) ne nous est pas connue, de même que nous est inconnue l'identité des personnes photographiées. Sur la vitre, des affichettes indiquent les prix : vin rouge, cidre, etc. L'identification de la seconde (Fig. 8) ne fait aucun doute : à l'actuel numéro 48 de la Rue Neuve, Nestor Mathieu était à la fois horticulteur et tenancier de l'estaminet. Cette photo est apparemment prise à l'occasion d'une fête : fleurs, accordéon et vêtements du dimanche en témoignent. Parmi les personnes photographiées, Françoise Mathieu à gauche, des voisins, mais aussi des clients italiens en costume. Reprenons ce qu'en écrit Francine Delauney : "L'estaminet de l'horticulteur est né de cet afflux d'étrangers qui, dès le début de leur présence, venaient trinquer avec l'autochtone hospitalier. La baraque du jardinier était devenue le point de rencontre des célibataires du bâtiment : une licence fut achetée, un piano mécanique, plus tard, fut acquis. On venait boire, danser, le dimanche, les jours de fête ou de pluie. On jouait aux cartes, aux fléchettes, à la mora (petit jeu d'argent). On se faisait photographier par un professionnel avec la jeune fille de la maison, ou bien les Piémontais se moquaient des Napolitains..."6. La baraque ne fut détruite qu'en 2009 ! Nous ne disposons pas d'autres photos de cafés provisoires au village, mais il est certain qu'il en a existé d'autres de ce type. Ainsi, sur la route du Ronssoy près de l'actuel monument aux Morts, Augustine Espéranza avait installé son bar dans une baraque Adrian qui, par la suite, fut transportée au n° 1 de la Grande Rue (seul un piano mécanique ne suivit pas de déménagement, à la grande joie des enfants dont Jacques Saunier à qui l'on doit cette information). On aperçoit tout en haut de la Grande Rue (Fig. 9), à l'actuel n° 1, ce débit de boissons "provisoire" tenu par Augustine, d'où l'on avait une vue plongeante sur l'ensemble de rue (Fig. 10).
Le village reconstruit Avec ces deux photos, nous abordons une nouvelle étape de l'histoire d'Épehy, celle du village déjà bonne partie reconstruit. Sur la Fig. 10, la première maison à gauche (n° 3 actuel) est le café d'Estelle Tétard. Les poteaux électriques attendent encore leurs fils, la Grande Rue n'a pas encore retrouvé sa largeur normale, et contrairement à ce qu'indique cette carte postale, il ne s'agit pas du tout de l'Hôtel de la Gare... La photo de la Fig. 11, malheureusement d'assez mauvaise qualité, montre la partie centrale de la Grande Rue en reconstruction, au carrefour de la Rue de la Gare. À droite, le café Belment déjà annoncé par son enseigne et, de l'autre côté du carrefour, le café Marquant-Vélu encore en chantier avec ses échafaudages.
Une autre carte postale (Fig. 12) illustre la reconstruction en cours à la sortie est du village, route du Ronssoy. Le café Lalie, à gauche (actuel n° 17), n'a encore ni fenêtres ni porte. Sur la droite, deux abris Nissen subsistent dans la cour du briquetier Delaigle. Sur ces deux photos, la chaussée et les bas-côtés de la rue ne sont pas encore aménagés.
Le symbole de cette reconstruction d'Épehy et de ses cafés pourrait être la Fig. 13 : le Café Marquant-Vélu, dit Café de la Mairie, probablement photographié le jour de son inauguration, auquel succèdera la pharmacie après la seconde guerre mondiale. Jour de fête à n'en pas douter : on se presse aux fenêtres et même sur les fenêtres, en tout une quarantaine de personnes, beaucoup d'enfants, venus en bicyclette, des Italiens aussi avec leur chapeau feutre. Et probablement aussi, quelque part derrière les enfants, les propriétaires. Ici l'éclairage public semble déjà en place.
Restons dans le centre du village. Le café Belment aussi est en activité. Nous en avons une photo prise de l'intérieur, chose assez rare, datée de 1936 (Fig. 14). Les personnages sont des ouvriers de l'entreprise Fernando Santi : au centre, à la table, le père Pascoli, à droite Dante Cortesi et Madeleine Santi, et à gauche probablement un autre ouvrier de l'entreprise. Situé entre la maison Santi et le terrain de l'entreprise, ce café était un lieu stratégique pour ses employés ! Il fonctionnera également comme hôtel-restaurant. Quittons le centre pour remonter vers l'église. Devant le café-coiffeur André Héluin (n° 16, Grande Rue) est stationné un attelage avec son chariot chargé bottes de lin (Fig. 15). Les mauvaise langues disent que les chevaux de certains agriculteurs s'arrêtaient tout seuls devant les débits de boissons... Les deux hommes posant pour la photo sont, à gauche Gabriel Georges armé de sa cachoère (fouet), et, à droite Albert Furgerot. On constate que le réseau des bornes-fontaines est installé. André Héluin était à la fois coiffeur et cabaretier, encore un cas de double activité comme nous en avions relevé plusieurs avant 1914. Plus tard, la maison deviendra un cabinet médical. Restons Place de l'Église, lieu stratégique aussi pour l'activité des cafés. Presque en face se trouve le café Osset-Dumez (Fig. 16). C'est un jour de grande foule, peut-être à l'occasion d'un mariage, avec ce camion débordant de fleurs dans lequel les mariés devaient faire le traditionnel tour du village. À droite, tournée vers le photographe, probablement Mme Levant (?). Ce café était aussi, en quelque sorte, un établissement annexe de l'église, en particulier pour les enterrements : les hommes qui assuraient le service funéraire préféraient attendre ici la fin de la cérémonie plutôt qu'au fond de l'église (de même que ceux qui se contentaient d'apparaître à la cérémonie au seul moment de l'Offrande !). L'histoire raconte que nos "croquemorts", qui connaissaient en habitués la durée des messes du curé, furent un jour trompés par un remplaçant hollandais, nettement plus rapide, et que le sonneur Anatole dut accourir en catastrophe au café pour qu'ils conduisent le cortège jusqu'au cimetière... Ce café deviendra Pouillaude, puis Robida, puis encore Pouillaude (Georges).
Sur la place de l'église, là où se trouvait le café Degroise avant 1917, un établissement fort semblable a pris la succession, le café Georges Delaplace, au nom prédestiné.
Sur la Fig. 17 apparaissent Germaine Delaplace, debout à gauche et, assis devant elle, Georges Delaplace près de son chien, une bouteille à la main, au centre, Hervé Copin et, assis à droite, Olivier Masson (père). Le café était renommé pour ses parties de cartes plus ou moins truquées mais aussi pour les espiègleries restées célèbres de son tenancier : ainsi organisait-il, pour les trop naïfs nouveaux venus au village, des parties de chasse nocturne au dahut dont la mémoire s'est perpétuée.
Toujours dans la Grande Rue, face au café Delaplace, au n° 12 bis actuel a existé le Café du Commerce, "Estaminet Pernois-Blanc" dit l'enseigne. Ouvert en 1920, il a dû fonctionner jusque vers 1924. Il était doublé d'un magasin d'abord loué à l'électricien Raymond Saunier, puis devenu quincaillerie avec Hervé Copin (Fig.18), mais il avait alors perdu son activité d'origine.
La Fig. 19 présente, en quelque sorte, le côté cour de la précédente. Elle date de 1919-1920. Maria Pernois, un bébé dans les bras, et peut-être à sa gauche Jules Pernois (?), pose avec les ouvriers apparemment italiens travaillant à la construction du Café du Commerce. Le mur est celui de la maison provisoire ; son enseigne donne à penser qu'elle a temporairement servi d'estaminet.
Continuons notre remontée jusqu'au Riez et sa Place. Là où, avant 1917, il y avait au moins trois débits de boissons, nous en retrouvons deux. L'un est le café-cordonnerie Pouillaude, comme l'indique son enseigne, à l'actuel n° 23 (Fig. 20), la cordonnerie étant la porte à demi-cachée à droite. On y reconnait, sur le pas de la porte, vraisemblablement entourée de jeunes ouvriers travaillant à la reconstruction, la tenancière du bar Marie Pouillaude-Renaud dont le mari, Léon, était cordonnier. Ce café était connu dans le village pour son billard. L'autre, pour lequel nous n'avons pas de photo, est le café Héluin au 22 de la Rue du Riez, dont le tenancier était chauffeur de loco à l'usine Raoul Trocmé. Pour les autres cafés de la Grande Rue, il ne semble pas exister de photos. Certains ont remplacé, au même endroit et avec le même nom, ceux qui s'y trouvaient déjà avant 1917. Citons, en partant du carrefour de Pezières pour arriver jusqu'au croisement des routes du Ronssoy et Sainte-Émilie, le café de Joseph Lempereur (actuel n° 85) "À la Jeune France", équipé d'un piano mécanique et où l'on dansait beaucoup, le café "À ch'ka ki skof" (ou "À ch'cat qui s'cauff") au 83, celui de Joseph Censier au 70, de Marcel Levant au 67, du peintre Annota au 43, qui fut peut-être équipé aussi d'un piano mécanique. Avant de visiter les reconstructions de la Rue Neuve, faisons le détour par la Rue la Fraîcheur. On y trouve, au n° 25, le café Annota-Merlin (Georgette Merlin avant 1917), ensuite devenu Boitel (Fig. 21), l'un de ceux qui survivra jusqu'à nos jours. On y jouait encore au billon dans les années 1970.
Dans la Rue Neuve, le café le plus célèbre est le café Mathieu (Jules Mathieu), "Café de la Musique", également épicerie, au n°27 (Fig. 22). C'est là que trouvaient refuge, entre les répétitions, les musiciens qui jouaient à la Salle des Fêtes, et il est possible que, là aussi, les clients venaient danser au son d'un piano mécanique. Il est probable, selon Francine Delauney, que la personne dans l'embrasure de la porte soit "Léna" (ou Hélène), la compagne de Jules. Quant aux spectateurs du cinéma, leur préférence au moment de l'entracte ou à la sortie les conduisait plutôt, se souvient Gérard Delauney, "chez Man'iette" (chez Henriette), "un café situé aussi Rue Neuve, mais vers la gauche en arrivant au bas de la Rue des Écoles".
La Place de la Gare Au plus proche de la voie, le café-hôtel du même nom a avantageusement remplacé le baraquement provisoire. Il fut d'abord tenu par Noémie Dumez, avant de devenir, en 1938, le Café Hôtel Louis Delauney (Fig. 23). Tenu jusqu'à l'été 1980 par Clotilde Delauney, il est devenu aujourd'hui maison particulière.
Gérard Delauney nous rappelle que l'activité des cafés de la Place fut intense durant les années de guerre, "en particulier avec les officiers du 71e régiment d'Artillerie cantonné dans le secteur en 39-40. Les souvenirs marquants de ce temps, écrit-il, furent les embarquements de troupes à la gare, tant les Français que les Allemands, personne de nos clients ne se réjouissant des destinations supposées que pouvaient prendre les trains, il en résultait beaucoup de tensions. Autre ambiance avec, pendant toute la guerre, le trafic des "rouleux" venus du secteur minier du nord de Cambrai, acheter au prix fort les produits alimentaires des fermes, descente des gendarmes de temps en temps et déballage ou sauve-qui-peut dans la remise ou le jardin. Plus joyeux : grosse fiesta au moment de la Libération, puis de la fin de la guerre en mai 45"7. En face, au n° 7, le café du coiffeur Oger, grand amateur de billard dont la salle était renommée. Cet établissement est toujours en activité. Et plus loin, au n° 12, le café-tabac-hôtel-restaurant François Bulan, à la longévité impressionnante puisqu'il a fonctionné de 1928 à 1958 (Fig. 24).La présence de la fanfare donne à penser que cette photo fut prise à l'occasion d'une grande fête de famille. Chacun se souvient du "Moineau blanc" qui caractérisait l'établissement, un moineau blanc trouvé et apporté par un client, et que l'hôtelier fit naturaliser pour le garder sur le comptoir. Ce fut aussi le lieu où, pendant un temps (peut-être lors de la dernière guerre ?), le Dr. Catherine venait, depuis La Vaucelette, donner des consultations.
Profitons de notre tour sur cette Place pour y surprendre un groupe d'amis (Fig.26) photographiés juste à côté de la gare.
On peut y reconnaître, au premier rang, les enfants Huguette Ménil et Denise Pierre ; au 2e rang, de gauche à droite, M. Pierre, Andrée Thierry, Fabien Pernois, Léone (Pernois ?), Quentin Ménil tourné vers l'arrière, (une dame non identifiée) et Noémie (tenancière du Café de la Gare) ; au 3e rang, de gauche à droite, Raymond Saunier, Achille Fournet, Labarthe et Gaston Lefort. Impossible d'éviter, en quittant cette Place, l'imposant Hôtel Virgile Dewastine, que la photo montre tout récemment construit au n° 3 de la rue de la Gare (Fig. 27). La tradition raconte que Virgile s'était fait une spécialité, lors des mariages, de tirer les traditionnels coups de fusils de chasse au moment où les jeunes mariés sortaient de la Mairie, mais qu'un jour deux complices (Antonio Christy et Hippolyte Boulanger) s'avisèrent de retirer subrepticement les cartouches du fusil. Alors là, sur la place publique, vraiment, comme on dit aujourd'hui, "il a eu la honte !"
Nous voici donc arrivés à la fin de notre "tournée des Grands Ducs", pour reprendre l'expression de Gérard Delauney, "ce qui n'est pas sans me rappeler, nous écrit-il, l'itinéraire savamment calculé de la retraite aux flambeaux de chaque 13 juillet au soir, qui n'oubliait aucun de ces points de passage, voire d'arrêt..." Épilogue Les débits de boissons seront désormais moins nombreux, les mentalités et les habitudes ont changé, et les boissons aussi. Les bières d'après 1918 ne valaient pas celles d'avant, disaient les anciens. La petite bière, et surtout celle fabriquée localement, ne pouvait rivaliser avec celle des "marques" soutenues à grand renfort de publicité et recule aussi devant le vin rouge, le gros rouge d'Algérie. Les anciens combattants ont diffusé la consommation du "pinard" et de la "gnole" dont ils avaient pris l'habitude dans les tranchées. Grâce à la révolution des transports, aucun village ne se trouve à l'abri de ces nouveautés. Peut-être aussi boit-on l'eau plus volontiers qu'auparavant, la bonne eau pure et fraîche du château d'eau rendue si facilement accessible grâce aux bornes-fontaines8 ? Et à propos de marques, notons que c'est en 1935 que le brasseur américain Krueger inventa la canette de bière ; elle remplacera la bière des estaminets directement tirée au tonneau : en quelque sorte la bière à emporter chez soi, la bière du chacun chez soi ! Faut-il regretter cette évolution et en particulier la diminution du nombre des débits de boissons liée, bien évidemment, à une baisse de leur fréquentation mais signalant une perte de leur rôle social ? Ou bien faut-il s'en réjouir ? Cela correspond, à n'en pas douter, un recul dans la convivialité et dans la socialisation au village, à une montée de l'individualisme, à un certain repli sur soi. Mais est-ce pour autant le signe d'une diminution de l'alcoolisme dénoncé au début du XXe siècle comme une tare très inquiétante dans le Nord-Ouest de la France (dont la Somme) tandis que le Sud en serait indemne ? Un géographe a montré que, contrairement aux idées reçues, pour la consommation d'alcools (tous types confondus) au début du XIXe siècle, la Somme ne faisait alors nullement partie des départements les plus affectés par l'alcoolisme (à la différence des départements normands)9. Reste une inquiétude : il a aussi constaté que "chaque Français de la décennie 1895-1905 a consommé (toutes boissons alcoolisées confondues) 22 litres d'alcool pur par an, soit exactement le double de la consommation moyenne de la fin du XXe siècle". Concluons que cette évolution générale des mœurs s'est traduite à la fois par une diminution des lieux de consommation publique et une diminution de l'alcoolisme, mais que notre région n'était pas parmi les plus atteintes par ce fléau et se plaçait dans la moyenne nationale. Notes : Date de création : 08/08/2009 @ 10h48 Réactions à cet article
|