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Le 23/12/2022 à 09h55

Le village - C comme Cahier d'écolier

En hommage à Claude Saunier

 

C comme Cahier d'écolier

 

Le document que nous avons la chance de pouvoir présenter ici est assez extraordinaire.

En effet, il réunit et met en scène, entre décembre 1924 et août 1925, deux hommes dont les Épéhiens se souviennent bien : l'un dans son travail d'enseignant, M. A. (Alfred ?) Sibilotte1, instituteur puis directeur de l'école communale de garçons, l'autre dans son travail d'élève, M. Raymond Demarle qui, plus tard, exercera aussi le métier d'instituteur et au même endroit.

Plusieurs fois dans les pages de ce site, nous avons déjà rencontré M. Sibilotte, car il fut au village l'une des personnalités marquantes de la période de la reconstruction et de l'entre-deux-guerres. Il apparaît notamment sur des photos de nos Instantanés n°22 et n°43, et encore à l'article intitulé "Épehy en 1924" de la rubrique Au fil des Ans (Fig. 1). Ce fut lui qui ré-ouvrit l'école communale après 1918, d'abord un simple baraquement de planches, et il était chargé du Cours Moyen, cela jusqu'en 1935.

 

                               Fig. 1. M. A. Sibilotte.           Fig. 2 et 3. Raymond Demarle, enfant et jeune homme, en acteur de théâtre.

                                                                     (Coll. C. Saunier, agrandissements A. Franqueville)

 

En 1935-36, des changements importants interviennent dans le corps enseignant d'Épehy : M. Demarle prend le Cours Élémentaire en remplacement d'Henri Vasseur, son épouse Mme Georgette Demarle prend le Cours Préparatoire en remplacement de Mlle Marie-Louise Beckaert, et M. Homais assure les Cours Moyens. Enfin M. Alfred Seigneur devient Directeur dans les mêmes années et le sera encore après la Seconde Guerre mondiale.

De M. Demarle, nous n'avons malheureusement que quelques photos tirées de photos de groupe (Fig.2 et 3), celles où, jeune encore, il apparaît parmi les acteurs de la troupe de théâtre animée par M.Sibilotte. Nous n'avons pas davantage d'informations sur sa vie : est-il né à Épehy ? Quelle était l'activité de ses parents ? Pendant combien de temps a t-il enseigné à l'école d'Épehy ?

Le Cahier dont il s'agit est le "Cahier spécial de Devoirs mensuels", ici celui des élèves du Cours Moyen, rendu obligatoire par un Arrêté ministériel du 18 janvier 1887.

Dans toute école primaire, trois cahiers devaient refléter le travail des élèves : le "Cahier du Jour", aussi ancien que l'obligation scolaire (1882), qui consigne les exercices faits en classe, le "Cahier de Roulement" à partir de 1895 (il a été supprimé en 1968) où chaque jour un élève différent inscrivait les devoirs de la journée, ce qui permettait à l'Inspecteur de contrôler facilement le suivi du programme, et le "Cahier de Devoirs mensuels", inchangé jusqu'à la Première Guerre mondiale2. Aujourd'hui ces cahiers existent toujours, même si leur présentation est différente, mais les enseignants n'ont plus l'obligation de les utiliser.

 

 

                                       Fig. 4 a.                                                        Fig. 4b.                                                            Fig. 4 c.

                                                                           Fig. 4d.                                                       Fig. 4 e.

Fig. 4 a ,b, c, d, e. Les 4 pages de couverture du cahier mensuel et la couverture kraft posée par l'élève Raymond Demarle.
(Coll. C. Saunier)

[Cliquez sur les images pour les agrandir)

 

Le rôle du cahier de devoirs mensuels est expliqué sur les 4 pages vertes de la couverture. La première page (Fig.4a) reproduit l’article 15 de l'Arrêté de 1887 indiquant que ce cahier devra rester déposé à l'école. La deuxième page (Fig.4b) s'adresse directement à l'élève. Après avoir précisé que "Ce cahier vous est remis pour être le compagnon et le témoin de vos études durant tout le temps que vous passerez à l'école", l'auteur présente à l'élève un ensemble de "recommandations" qui sont essentiellement d'ordre moral :

"...vous aurez le plaisir de voir vous-même... les progrès que vous aurez faits... Ce cahier... n'a pas pour but de vous comparer avec vos camarades, mais de vous comparer successivement vous-même avec vous-même... Il s'agit de montrer si vous avez tâché de valoir mieux aujourd'hui qu'hier, si vous tâcherez de valoir mieux encore demain qu'aujourd'hui... Faire toujours des efforts, afin de faire toujours des progrès, c'est la loi de l'école parce que c'est la loi de la vie... on ne travaille pas pour soi seul dans ce monde, on travaille aussi pour les autres... les bons écoliers feront les bons citoyens... vous pourrez un jour rendre à la patrie ce que la patrie fait aujourd’hui pour vous. La France a besoin de travailleurs et de gens de bien... dites-vous tout bas à vous-même : non je ne veux pas être un inutile sur la terre, un ingrat envers ma famille, un ingrat envers la France..."

La troisième page de couverture (Fig.4c) énonce les matières au programme du Cours Moyen : 1° écriture, 2° langue française, 3° calcul, 4° dessin, histoire, géographie, premiers exercices de composition française, ce 4° point étant remplacé, en 2° année de CM, par les exercices de composition française et suivi d'un 5° point comprenant dessin, histoire, géographie, instruction civique.

On remarquera que ce programme officiel ne comporte aucune approche des sciences, mais que le cahier de Raymond Demarle contient cependant un devoir de "Sciences" portent sur le corps humain. S'agit-il d'une évolution du programme ou d'une initiative de M. Sibilotte ? Cette 3° page comporte aussi un tableau prévu pour présenter les points obtenus chaque mois, mais son emploi est facultatif et il n'a pas été utilisé ici.

La 4° page de couverture (Fig. 4d) est une sorte de mode d'emploi de ces cahiers, plutôt destiné à l'instituteur à qui sont données des directives très pratiques sur la façon de les utiliser et même de les ranger "soigneusement serrés dans l'armoire-bibliothèque".

Une autre chance pour nous est que les archives de Claude Saunier comptent aussi deux autres cahiers d'écolier : un "Cahier spécial de Devoirs mensuels" et un autre, peut-être Cahier du Jour (non paginé), tous deux ayant appartenu non pas à un élève d'Épehy, mais à un certain Fernand Vivien dont un devoir donne à penser qu'il vivait dans la région de Villers Bocage (Bavelincourt, 80 ?). Le cahier mensuel s'étend sur la période du 1° février 1887 au 6 novembre 1889, l'autre du 15 janvier 1889 au 13 février de la même année. Fernand Vivien était né en 1876, c'est dire qu'il avait 37 ans de plus que Raymond Demarle3

Malgré ce décalage de près de 40 ans, les deux cahiers de devoirs mensuels semblent parfaitement identiques : même format, même couverture verte... sauf que, en première page, le plus ancien fait référence à un Arrêté du 27 juillet 1882, Art.13 (dont le texte a été intégralement repris par l'Art.15 de 1887), et que la page 3, avec le programme du Cours Moyen et le Tableau facultatif, n'existe pas encore. Par contre, les pages de couverture 2, 3 et 4 présentent exactement les mêmes "Recommandations" à l'élève et "Observations" pour le maître.

À la lecture de ces pages de couverture, on se rend compte que le rôle dévolu à l'école était bien plus vaste que celui d'une simple transmission de "l'instruction" aux élèves, c'est-à-dire de savoirs théoriques et pratiques de base leur permettant de se débrouiller dans la vie. Elle devait être aussi école de civisme et de bonne conduite, école de moralité et école de patriotisme. Elle devait former de bons serviteurs de la société et de la mère-patrie, de bons pères et mères de famille, en un mot assurer la pérennité de la société et du pays.

Bien que le cahier soit paginé et que "sous aucun prétexte aucune feuille ne devra en être détachée", celui de Raymond ne compte que 22 pages : la deuxième moitié en a été arrachée. Nous ne sommes encore qu'en 1924-1925, et on y peut voir la marque d'un souci d'économie ou d'une pénurie de papier : les pages arrachées sont celles postérieures au 1° août (grandes vacances) et, restées blanches, elles ont été utilisées ailleurs.

Le cahier a été recouvert par l'élève d'un épais papier kraft sur lequel est écrit : "Cahier mensuel, Raymond Démarle" (Fig.4e). L'accent sur le "e" est assez surprenant, car la prononciation habituelle de ce nom au village n'est pas celle-là. Mais peut-être ne s'agit-il seulement que d'une facétie de l'élève ou d'un camarade...4

Qu'en est-il du contenu de ce cahier ?

On reconnaîtra dès la première page le cahier réglementaire des écoles, ce cahier "à grands carreaux" que l'élève doit s'appliquer à remplir de sa plus belle écriture à l'encre violette non moins réglementaire (reconstituée par le maître à partir d'une poudre), une écriture à la plume métallique, bien sûr, que l'on trempe dans "l'encrier de porcelaine blanche incrusté dans la table" (Grunstein, o.c.), tandis qu'à gauche, la marge reçoit, généralement en rouge, les commentaires et les notes du maître.

 

 


Fig. 5. La première page du cahier

 

L'élève Raymond Demarle est donc né le 19 janvier 1913 (on ne sait si ce fut à Épehy, ce nom étant surtout présent dans le département du Nord) et a fait sa première entrée à l'école (c'est-à-dire au Cours Élémentaire) le 1° octobre 1918, malheureusement sans que l'on sache non plus où, mais probablement au lieu d'évacuation de ses parents, lequel ne fut pas Berlaimont. Ainsi, malgré la guerre, Raymond a pu débuter sa scolarité à l'âge normal.

 

Le cahier commence le mardi 2 décembre 1924 et prend fin le 1° août 1925. On peut penser que ce commencement tardif de l'année scolaire fut dû aux délais d'aménagement de l'école nouvellement construite en remplacement du baraquement qui abritait les élèves depuis 1921. En effet, si l'on se réfère au même cahier de l'élève Fernand Vivien, l'année scolaire commençait normalement début octobre et se terminait en juillet.

La page ne précise pas si l'élève est en Cours Moyen 1 ou 2. L'absence de l'Instruction civique porte à penser qu'il s'agissait du premier, à moins qu'à cette date cette réorganisation des CM sur deux ans n'ait pas encore été effective à Épehy ? Ce cahier donne d'ailleurs l'impression que, par rapport au programme officiel figurant sur la couverture, le maître disposait d'une assez grande liberté. En effet, ni le dessin ni l'histoire n'y apparaissent, et sur un total de 14 devoirs, 6 concernent le calcul, 4 la langue française, 2 la géographie et un seul l'écriture et les sciences.

On peut d'ailleurs s'étonner du nombre réduit de devoirs mensuels réalisés durant cette année scolaire 1924-1925, comparé avec ceux de Fernand Vivien, au nombre de 36 pour l'année scolaire 1887-1888. Mais rappelons-nous que le village est encore en pleine période de reconstruction et de réorganisation, de sorte que l'école manque peut-être encore de locaux ou même d'enseignants, au point de ne permettre qu'une scolarité à temps partiel pour les élèves.

 

Ce n'est sûrement pas par hasard qu'à la première page, le premier devoir soit un devoir de géographie et qu'il ait consisté à demander aux élèves de dessiner la carte des régions Nord et Est de la France avec leur relief et leur réseau hydrographique, sous le titre "Rhin, Meuse, Escaut". Dès la première phrase, l'élève écrit que "Le Rhin nous sert de frontière..." avec l'Allemagne, étant entendu que l'Alsace et la Lorraine nous ont enfin été restituées. Ainsi, dès la rentrée est rappelé aux écoliers un passé récent propre à soutenir leur patriotisme au long de l'année. S'agissait-il d'une directive donnée aux maîtres ? La seule autre carte du cahier, restée d'ailleurs sans commentaire, se trouve juste avant les grandes vacances, au 31 juillet 1925, une carte générale de la France avec relief, cours d'eau et principales villes.

On doit cependant reconnaître que ce rappel reste très discret puisqu'il ne transparaît même pas dans le devoir. Peut-être faut-il y voir un effet de la volonté du maître, le désir de tourner la page, le choix de ne pas s'appesantir sur ce passé encore récent et dont ses élèves ont certainement souffert.

 

L'appréciation du maître sur cette carte est : "Bien, 8 points", une appréciation que l'on retrouvera souvent au cours de l'année, la plupart des devoirs étant annotés "Bien" ou "Très Bien"(9 sur 14 devoirs), très rarement "Assez Bien" (3 fois), et la note habituelle "10" ou "9" (7 fois sur 14), les "8" et "7" n’apparaissant que 2 fois chacun.

 

Sans aucun doute, Raymond fut un élève très brillant : Une belle écriture régulière, très peu de ratures, il semble avoir été parfaitement à l'aise pour toutes les matières abordées : Composition française, calcul, grammaire ou arithmétique, ce qui devait réjouir le maître autant que les parents. La correction du maître était pourtant exigeante et précise, et il faut bien reconnaître que, 40 ans plus tôt, Fernand Vivien, n'avait pas eu la même chance avec son instituteur Duval... mais il semble aussi avoir été moins doué que Raymond...

Quant aux parents, ils étaient censés signer le cahier de devoirs mensuels. Celui de Raymond ne l'a pas été, on ne sait pourquoi, celui de Vivien l'a été de temps à autre.

 

Et pour conclure, le mieux n'est-il pas de laisser la parole à l'élève et de vous proposer de lire la "Composition française" écrite par Raymond le samedi 28 février 1925 ?

Même si la note reçue ("Assez Bien, 7 points") n'est pas parmi les meilleures du cahier, la façon dont l'élève a abordé un sujet devenu aujourd'hui si "sensible" et prétexte à bien des dérives, est remarquable : un campement de "Romanichels" de passage au village. Un récit simple, objectif, tout en respect et en tolérance de l'autre malgré sa différence, sans jugements tout faits sur les personnes ni sur leur mode de vie.

Comment ne pas deviner encore une fois derrière ce texte, bien au-delà de la simple instruction, la trace discrète de l'éducation morale dispensée aux élèves par le maître ? Oserait-on, aujourd'hui, demander aux élèves de traiter un tel sujet ?

Voilà un texte et un cahier qui donnent à penser !

Fig. 6 a et 6 b. Composition française, 28 février 1925.

 

Remerciements.

Nous adressons tous nos remerciements à M. Michel Delaire qui a bien voulu relire cet article et nous a permis d'en préciser utilement certains points.

 

Notes :

1 Un nom dont les généalogistes situent l'origine dans la Haute Marne.

2 Une intéressante présentation commentée de ces cahiers d'écoliers a été publiée par Rachel Grunstein, Jérôme Pecnard et Brigitte Dancel : Nos Cahiers d'écoliers, 1880- 1968, Édition des Arènes, Paris, 2002.

3 Ces cahiers de Fernand Vivien ont déjà été présentés dans notre article "E comme École avant 1917" de l'Abécédaire.

4 En picard, "marle" signifie mâle !

 

 


Date de création : 05/10/2013 @ 11h47
Dernière modification : 05/10/2013 @ 12h00
Catégorie : Le village
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Réactions à cet article

Réaction n°2 

par Alice le 21/01/2019 @ 17h28

 Bonjour,Je viens d'obtenir les renseignements suivants concernant Raymond Demarle :
d'après un registre des Allemands, il est né le 19 janvier 1913, à Épehy. A priori il s'agit donc bien de la même personne.
Lieutenant au 17e régiment d'infanterie, il a été fait prisonnier le 23 juin 1940 à La Bourgonce, dans les Vosges, et arrivé à l'Oflag XVIIA le 4 juillet 1940, non loin de Vienne, en Autriche, après avoir séjourné au Dulag 12.
Peut-être serai-je bientôt en mesure de vous donner une date de sortie, ou d'évasion, ou de transfert. Pour le moment je n'ai rien de plus.Bien à vousAlice (fille de Prisonnier de Guerre à l'Oflag VIA)

Réaction n°1 

par jleg le 29/11/2014 @ 22h11

bonjour, je viens de découvrir avec émotion  le cahier de mon grand-oncle Raymond Demarle , nous allons vous envoyer un rectificatif et des éléments sur sa vie après l'école, mais sachez qu'il était bien natif d'Epehy .... certains de ses éléves se souviennent également de lui et de sa femme .

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