Sommaire

Fermer Petite bibliothèque

Fermer Les origines du village


L'abécédaire d'Épehy

Fermer Le village

Fermer Les champs

Fermer Instantanés

Fermer À propos de...

Fermer Au fil des ans...

Fermer Galerie de Portraits

Fermer 1914-2014, le centenaire

Fermer La Reconstruction

Fermer Courrier des Lecteurs

Recherche



Lettre d'information
Pour avoir des nouvelles de ce site, inscrivez-vous à notre Newsletter.
S'abonner
Se désabonner
Captcha
Recopier le code :
27 Abonnés
Annuaire de liens
Visites

   visiteurs

   visiteurs en ligne

Record de visites

   visiteurs

Le 23/12/2022 à 09h55

Au fil des ans... - Un cheminot raconte la gare d'Épehy en 1950

 

UN CHEMINOT RACONTE LA GARE D'ÉPEHY EN 1950

INTRODUCTION

Le texte qui suit, 4° partie d'une œuvre plus important, nous a été aimablement proposé par son auteur, M. Pierre THOMAS, cheminot retraité originaire de Somain (59) à qui nous adressons nos plus vifs remerciements.

Il nous y raconte le séjour de 7 mois qu'il fit à la gare d'Épehy (septembre 1950 - mars 1951), en raison d'une mutation dans le cadre de son stage de Facteur-Enregistrant. Ce sera pour nous l'occasion de découvrir notre ancienne gare et son mode de fonctionnement quelquefois inattendu, ses multiples activités, avec ses petites histoires qui pouvaient parfois devenir graves, et ce sera aussi l'occasion de découvrir la vie de notre village au milieu du siècle dernier, avec ses personnages, ses activités de l'automne et aussi ses rigueurs de l'hiver.

Le récit n'est pas raconté à la première personne, ce qui peut surprendre le lecteur. Il faut donc savoir que celui que M. Thomas désigne sous le nom de "l'Attaché" (grade de la SNCF), ou encore "le Facteur -Enregistrant" (fonction à la SNCF), ou encore "l'émigré du Nord", n'est autre que lui-même. Il terminera sa carrière à Cambrai avec le grade d'Inspecteur.

Bonne lecture donc !

A.F.

(Les inter-titres ont été ajoutés par nos soins).

 

 

CHAPITRE 4

1950 (suite)

EN HAUT DE LA COTE !

LA SOMME

 

Premier contact avec Épehy :
"Une gare typiquement agricole qui fleure bon le terroir de la France profonde"

La nouvelle affectation entérinée par le Service du Personnel de l’Arrondissement va obliger le cheminot déjà bien expérimenté à changer d’air et à quitter son cher paysage minier. C’est ainsi qu’il prend contact avec les riches plaines limoneuses de la Picardie dans une gare de la «Picardie-Flandres », précisément sur une ligne qui lui est totalement inconnue. Le nom «d’Épehy » ne lui est certes pas étranger. Il en a entendu parler dans le cadre relationnel de ses parents. Pour autant, il ignore où peut se trouver ce lointain village, inclus sans ambiguïté, dans les limites territoriales du département de la Somme.

Ce dépaysement n’est pas pour lui plaire outre mesure. Cette fois, il va falloir rompre définitivement avec le milieu familial, couper le cordon ombilical. Un vrai départ est en train de s’opérer. La vie professionnelle dicte ses impératifs.

Fig.1 & 2. Deux vues aériennes du quartier de la gare d'Épehy (Coll. C.Saunier / P.Thomas).

 

Cette mutation comme il se doit, fait l’objet de commentaires ferroviaires internes à la gare de Wallers. M Vrévin, le chef pour quelques jours encore, situe à peine cette gare dont il n’a qu’une connaissance évasive. Elle se trouve être d’après lui, au faîte d’un des plus hauts points de la région Nord SNCF, sur une double voie Cambrai/Péronne/Chaulnes, que d’aucuns dénomment encore «Picardie-Flandres ». Pourquoi un tel intitulé ? Mystère ! La réponse sera donnée par l’auteur de ces pages, bien longtemps après, dans une étude spécifique sur l’historique des gares de Somain et Cambrai.

La gare est munie des mêmes sémaphores qu’à Wallers, type Lartigue Nord. Du moins sur le plan de la signalisation, il n’y aura pas de différence. Il s’agirait d’un point très important pour l’expédition, en saison, des wagons de betteraves avec, en prime, un fort trafic de colis et de détail. Il semble qu’il y ait une bifurcation avec une voie unique, exploitée par un Chemin de Fer secondaire.

 

Fig.3. La gare d'Épehy avec son hall, son sémaphore et sa lampisterie (Coll. P Thomas).

 

Nanti de ces fragmentaires renseignements, le somainois, en mal de son pays bientôt délaissé, n’a plus qu’a attendre la date fatidique portée sur son ordre de mission, pour rejoindre son nouveau poste.

La navette Somain-Lourches qui doit amorcer son voyage de départ l’attend le deuxième lundi du mois de septembre. A Lourches, le «Valenciennes-Paris n° 1908 » l’amènera vers 7 h 45/8 heures,  sur le lieu de son futur travail, sans changement à Cambrai.

Il est naturellement hors de question de refaire, le jour même, le voyage matinal en sens inverse. Près de soixante kilomètres séparent Somain d’Épehy. Le logement sur place s’avère être un impératif incontournable. D’ailleurs les horaires journaliers dévolus au Facteur-Enregistrant ne sont, en rien, compatibles avec les arrivées et départs des trains dont il doit précisément assurer le service.

Les voitures en bois à couloir latéral, fierté des grands trains de la fin du siècle dernier, rehaussent, s’il le fallait, la qualité du train qui n’a d‘express que le nom. En débarquant sur le quai, le nouveau titulaire en uniforme ressent un certain malaise. Comment va s’opérer son installation matérielle : gîte et couvert ?

Il est accueilli par un agent à la verve débordante, à la faconde outrageuse. C’est un Intérimaire de 2° classe, à voir le nombre d’étoiles sur sa casquette. Présentations ! « C’est toi, le nouveau Facteur-Enregistrant ! Eh bien, depuis le temps que l’on t’attend ! » « Viens, on va arroser ça ». Les quelques questions touchant à la façon de vivre sur place n’ont pas l’air de l’émouvoir. « Justement il y a ce qu’il faut chez BULAN.» Il s’agit en fait de l’un des trois cafés présents sur la place de la gare, celui-ci faisant office d’hôtel.

Voilà donc le Chef d’un jour, l’IN2 Charpentier «dit Papillon » et le nouvel arrivé se dirigeant vers le comptoir pour négocier avec la patronne, de type bien picard, un accord portant sur la chambre et le couvert. Tout cet intermède se complète naturellement par l’absorption de plusieurs tournées, ingurgitées au cours de conversations oiseuses qui n’en finissent pas.

 

Fig. 4 & 5. La place de la gare et de café-hôtel Bulan (Coll. C. Saunier).

 

Le règlement des consommations sur le zinc a-t-elle eu lieu ? En ce qui concerne le nouveau, il n’y a pas de doute. Pour le reste ! Aucune affirmation ne peut être avancée car l’ardoise en compte est abondamment remplie, avec les pourboires laissés par les clients venus en gare pour régler leurs problèmes de transport. Il s’agit bien d’une gare typiquement agricole qui fleure bon le terroir de la France profonde.

Après cette entrée en matière, n’est-il pas temps de revenir sur le lieu de travail pour savoir le pourquoi, le quand, le comment, le but de l’intervention du parachuté ? Un poste de Facteur-Enregistrant est devenu vacant par suite de la mutation presque obligée du titulaire. Sur place, cette présence d’un Attaché est regardée avec une certaine méfiance, comme si cette catégorie de personnage apportait avec elle une suspicion sur l’atmosphère interne du bureau, à première vue, lourde et orageuse. « Quand le chef de Gare sera-t-il visible ? » Un a- priori de l’agent de service au guichet, du commis qui assure le travail de comptabilité, de l'homme d’équipe se confond dans un mutisme révélateur d’un malaise ambiant vis-à-vis du « nouveau ». Peut-être même est-il qualifié d’intrus ? Dans ce contexte, l’avenir ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices.

« Demain celui qui fait fonction de Chef, sera là pour te donner tous les renseignements utiles. Aujourd’hui, tu n’as qu’à te mettre au courant » Et pour mettre à l’épreuve l’expérience de «l’étranger », le préposé au guichet lui tend une feuille d’expédition «détail » relative au transport de grosses bobines de fils, sortant du tissage TROCMÉ, pour en assurer la taxation. Ce geste banal donne l’occasion de faire connaissance avec un collègue qui sera côtoyé durant une très longue période de la vie professionnelle. M Debut, jeune facteur habitant Marcoing, sera par la suite, un collaborateur dans différentes fonctions à haute responsabilité.

"La gare d'Épehy est truffée de particularités bien spécifiques"

La première journée se passe dans cette mise en condition. En tout cas le travail ne manque pas. Le soir, l’émigré du Nord s’apprête à passer sa première nuit en chambre d’hôtel,

après un repas pris dans la salle du café, où viennent se planter au comptoir les habitués du dernier apéritif vespéral.

Le lendemain matin, la prise de service est programmée en période de jour pour l’ultime prise de contact. Formation et mise en double, sont plutôt restreintes, pour ainsi dire inexistantes. On se prend à rêver quand en cette fin de siècle, la formation à tous niveaux, pendant des périodes bien programmées, est le pilier indispensable de la réussite professionnelle.

La gare d’Épehy est truffée de particularités bien spécifiques qu’un agent venant d’une autre gare à bien du mal à assimiler. Mais il n’y a pas à tergiverser. Et puis, l’honneur n’est-il pas en cause ? Une fois encore, on peut regretter que cette valeur du travail, bien fait, tombe en désuétude au profit de l’assistanat qui émousse les volontés. Le progrès dans la vie professionnelle est à la mesure des conditions de travail quelquefois exécrables de l’époque.

L’auteur de ces lignes n’en est pas moins heureux de recourir, sur-le-champ, aux conseils avisés de l’homme d’équipe, rôdé aux pratiques locales.

Avant de décrire cette gare dans ses moindres détails, tant elle constitue une entité défiant tout classicisme, qu’il lui soit permis de rappeler les conditions premières de vie dans son nouveau poste. L’Intérimaire de 2° classe Joseph, dans les fonctions de Chef pour un temps certain, débarque le matin, vers 7 h 30, du train en provenance de Roisel, la gare limitrophe en direction de Péronne. Lui aussi garde un certain ressentiment envers ces «Attachés » qui se croient tout permis, parce qu’ils ont de l’instruction. Surtout, à terme, ils peuvent être un frein dans le déroulement de carrière de l’agent sur le tas. Les présentations sont, pour tout dire, froides. Il fallait s’y attendre. Après les formalités administratives indispensables, le jeune muté reçoit sa vraie commande de service. Elle s’accompagne curieusement de l’octroi d’une semaine de congé, posé précédemment. Ce sera toujours cela de pris pour éviter un subit dépaysement.

Naturellement toute l’affaire, bien au départ de la mutation, est, à nouveau, passée au crible. Elle est difficilement assimilable par les intéressés en place. « C’était devenu un bagne plus qu’un établissement ferroviaire. Heureusement, on n’est pas près de revoir le Chef, car il a peu de chance de reprendre du service, à Épehy du moins. » « C’est sûrement mieux ainsi ! La «maladie » doit se poursuivre, au moins des mois, tant que le dossier disciplinaire ne sera pas fermé. » Joseph donne néanmoins quelques renseignements sur la vie de la gare et le travail qu’elle génère.

Épehy est bien au faîte de la côte «dite du même nom », point culminant de la ligne Cambrai/Chaulnes, particulièrement redoutée de tous les mécaniciens. Le profil tourmenté de la voie en fait, désormais, un itinéraire secondaire. Elle est utilisée par une batterie de cinq trains de voyageurs journaliers, dans chaque sens, dont un express aller et retour vers Paris ; 1908/1933. Un train de messagerie et un train de marchandises AR réguliers assurent la desserte pour les clients, colis et wagons. Quelques mouvements facultatifs sporadiques de matériel vide sont loin de compliquer une situation d’ordre mouvement qui reste, secondaire pour le responsable.

Mais il existe une voie unique du Chemin de Fer secondaire, allant de Vélu, gare de jonction sur la ligne Achiet/Bapaume/Marcoing, jusqu’à St.Quentin. Il s’agit en fait de l’axe médian Arras/St. Quentin envisagé mais vite abandonné par le Nord, à la construction des lignes. Circulent, sur cette voie, des autorails en correspondance avec les trains SNCF et des trains de marchandises desservant les gares intermédiaires. Parmi elles, se trouve à quelques encablures d’Épehy, la gare de St Emilie qui dessert la très grosse Sucrerie qui porte ce nom. Tous ces va-et-vient sont sous le régime spécifique des Voies d’Intérêt Local, avec règlement propre, différent de celui de la SNCF.

"Des betteraves, il y en a partout"

C’est donc bien une gare de bifurcation, à part entière, dite «gare commune ». Pour matérialiser sur le terrain la conjonction des deux réglementations, tout un système de sécurité est en place en l’absence de cabines d’aiguillage. Signaux, disques, autorisations, aiguilles sont systématiquement enclenchés les uns avec les autres par des clés «Bouré » (clés spéciales qui réalisent les enclenchements). Elles font de l’établissement, apparemment moyen et classique, un lieu où la complexité du schéma de signalisation est la plus totale, difficilement assimilables pour un arrivant. L’image, laissée par les habitués de l’exploitation de la gare, veut  «qu’à Épehy, avant de commencer une manœuvre, il faut au préalable remplir sa casquette de clés Bouré »

Le service commercial normal, dans le courant de l’année, est soutenu, orienté dans le sens arrivée, à la réception, de wagons de charbon pour la sucrerie et de trains de cailloux sur les voies de débord, dans le sens départ aux expéditions de sucre et de blé et toutes marchandises ayant un rapport avec le monde agricole. Par contre, le trafic est décuplé à partir de la fin septembre jusqu’au début de l’année suivante, par l’apport des transports de betteraves. Des betteraves, il y en a partout, à l’arrivée, au départ, en transit. Quatre «bascules » se partagent le tonnage important du terroir amené dans la cour de la gare par les cultivateurs eux-mêmes : St Emilie, Escaudoeuvres, Iwuy, Ham.

Très vite des montagnes de racines se dressent en attente de chargement, dans un cloaque abominable d’autant plus visqueux qu’il est conforté par les pluies automnales et les résidus de pulpes glissantes, dans les wagons en retour. La SNCF a tellement bien compris le problème qu’elle fournit des bottes impersonnelles pour permettre aux agents de patauger dans les fondrières boueuses, génératrices d’accident. Encore faut-il que chacun jouisse d’une pointure standard pour pouvoir les utiliser !

En plus du train de desserte régulier, un mouvement spécial est programmé à la mi-journée. Il achemine du matériel vide pour le chargement et évacue les tombereaux chargés à refus, avec des dômes proéminents. A chaque coup de tampon un peu trop appuyé, ces derniers, déstabilisés, s’écroulent sur le dos de l’agent préposé à l’attelage ou à l’établissement des relevés de wagons, pour situer la charge du train. Dieu sait qu’ils sont courants ces éboulements, lors des manœuvres de lancement (wagon poussé sans être attelé) ! D’ailleurs, il faut s ‘assurer que les wagons sont dirigés sur un véhicule bien calé et freiné car, prenant de la vitesse, ils peuvent se retrouver en dérive à Roisel, tant la déclivité est forte.

Il pleut des betteraves comme à Gravelotte.

Les «carottes » arrivent de partout et repartent dans toutes les directions. Un véritable chassé-croisé s’instaure. Il en parvient de la ligne de St Quentin vers Bihucourt et Boisleux, de Bapaume ou de Cambrai pour Ste Emilie, via la voie unique ou la double voie, déballage terreux chargé dans des wagons métalliques ou en bois, maculés de boue, de cambouis ou de glace durant le plein hiver. Le courant de pulpe suit, en sens inverse, celui des betteraves. Il faut une sacrée habitude pour ne pas intervertir tous ces véhicules, au milieu desquels se glissent la rame de charbon, le train complet de cailloux pour chacun des Inspecteurs TPE des départements de l’Aisne, de la Somme ou de Pas-de-Calais. Les voies du débord sont remplies à refus de croisement, de tous ces wagons attribués aux différents basculeurs. Concurrents par principe, ils s’attribuent souvent les véhicules des collègues, point de départ d’altercations vives et sans fin. L’agent de la gare, le «Contrôleur betteraves » comme on le désigne, envoyé en renfort par l’Inspection Mouvement, doit s’employer à apaiser les esprits. Après la franche empoignade verbale, la solution est trouvée devant le petit blanc «versé sur le zinc de chez BULAN ou de chez DELAUNAY » Des queues de chariots à quatre roues tractés par de solides percherons, se mettent en tangente des wagons pour que des bataillons de fourches puissent les charger en toute sécurité. Quand le matériel ferroviaire vient à manquer, des montagnes de tubercules envahissent alors la cour de la gare.

 

Fig. 6. À la bascule d'Escaudoeuvres (Coll. C. Saunier).

 

Les manœuvres durent des heures entières, de dix heures à cinq heures de l’après-midi au minimum. Après le train de neuf heures, on recommence avec celui de onze. Quand il est parti, il n’y a plus qu’à attendre celui de quatorze, suivi de celui de dix huit heures. Ce dernier, en période intensive a la fâcheuse habitude de monter de Roisel avec deux ou trois heures de retard, devant l’express du soir. Il n’y a plus qu’à procéder à son garage en n’oubliant pas de changer la signalisation de fermeture portée par le voyageur avec ses deux feux d’angle de couleur verte.

Encore heureux que les manœuvres quatre fois répétées du «tortillard » qui se présente dans la période, sont assurées par les agents du «secondaire ». De toute façon, il faut leur ouvrir les aiguilles pour leur faire traverser les voies principales. Le régime de «la casquette pleine de serrures Bouré » joue à fond dans toute l’acception du terme.

Tous ces passages doivent s’effectuer dans les intervalles de circulations, en voies principales SNCF et Secondaire. Heureusement, elles sont peu importantes, se résumant aux passages des seuls trains de voyageurs, relativement peu nombreux. Il faut néanmoins procéder aux rentrées et sorties des autorails Vélu au dépôt quand ils n’ont pas la «malheureuse » idée de se croiser en gare.

Comme tout cela se programme le plus souvent dans un "desheurement" général, contrarié de plus par les intempéries constantes (pluies ou neige), on imagine le tableau des activités journalières. Elles sont loin de ressembler à une partie de plaisir, jouée par beau temps.

Se mêle au ballet betteravier, un fort trafic de colis et de marchandises transportées par expéditions de détail, à l’arrivée et au départ L’affectation est pleine. Entre deux manœuvres de wagons, il n’y a plus qu’à procéder au déchargement et à la reconnaissance de centaines et des centaines de paquets de sacs de jute pour la Sucrerie, en retour des envois adressés à ses clients. La pièce de machine agricole et les caisses de beurre ou de fromage se glissent dans un panel étendu de marchandises diverses pour les habitants des villages voisins, à charge de faire le tri pour le correspondant local et le transbord dans les autorails du Secondaire.

A l’inverse, le chargement journalier des colis de lingerie fine adressés par les Etablissements GERNEZ à leurs clients du monde entier se complète par celui de lourdes pièces mécaniques de rechange, en provenance de l’atelier d’entretien de la Sucrerie. Les machines agricoles ; semeuses, charrues, sont envoyées par wagons en trafic accéléré, par le petit atelier local ou de Gouy-Le Catelet.

Entre 14 et 15 heures, l’atmosphère du bureau atteint son paroxysme. Tout le monde est mobilisé pour assurer la taxation des feuilles, le collage des vignettes taxe pour les colis du régime intérieur, l’étiquetage de service. Il faut que tout soit prêt pour un départ par le train de messagerie 4884 descendant sur Amiens, se présentant à distance du train de voyageurs de 15 h 20. L’énervement est au summum quand se présentent des voyageurs, à destination au-delà de Paris ou non officialisée au casier à billets, mieux d’une gare incluse sur la ligne d’un réseau secondaire, pour laquelle il faut rechercher la distance et le prix.

Le menu ferroviaire dans le travail quotidien, esquissé par l’Intérimaire Joseph, n’a aucune mesure avec le calme relatif et plus ordonné de celui de Wallers. Il va falloir de toute façon, y faire face, après les quelques jours de congé obtenus à l’arraché.

La prise de contact avec l’hôtel BULAN ne peut être qu’un pis aller. L’ambiance d’un café, même si la solution de la chambre doit être appréciée à sa juste valeur, ne convient pas aux aspirations du jeune cheminot. Il lui faut penser à une autre formule. N’y a-t-il pas dans le pays des personnes susceptibles de lui louer une chambre ? Mais là encore le caractère rural et picard domine. Chez BULAN, il y est certes bien ; la cuisine est valable et copieuse. Il n’y a cependant guère de sauvegarde d’une certaine intimité avec les tenanciers qui demandent à la clientèle une certaine propension à consommer dans les heures d’inactivité.  Une chambre, hors établissement public, serait la bienvenue.

Il apparaît qu’un certain ménage dans le fond du village aurait déjà logé des stagiaires de la poste. Pourquoi ne pas se diriger dans cette direction ? C’est ainsi qu’un certain après-midi, est poussé le portillon de la maison de Nicolas HIEZ. L’ancienne ferme de nature imposante n’est plus exploitée. Dès l’entrée une impression de propriété cossue prévaut. Les présentations n’excluent pas un certain rouge timide au visage. Les tractations sont difficiles au départ, surtout de la part de Madame. Mais en fin de compte, l’accord se fait sur la location au mois, d’une chambre mansardée au-dessus de la cuisine. C’est mieux que rien. Le repas de midi pourra continuer à être pris chez BULAN, à proximité de la gare. Le soir, le nouveau «picard » se débrouillera tout seul. Un indice favorable joue en sa faveur. L’agent avec qui il est appelé à alterner, celui avec qui se scellera une amitié toujours actuelle, habite Marcoing. Il est obligé de rejoindre la maison de ses parents à bicyclette, à chaque fin de service. Un jumelage de poste, accepté conjointement, permet à chacun d’avoir vingt quatre heures de repos et surtout d’utiliser les trains de voyageurs.

La formule non réglementaire oblige le collègue à passer une nuit sur deux en gare, en utilisant le lit d’intérimaire, mais elle n’en donne pas moins la possibilité de regagner Somain plus facilement et d’y récupérer, dans la maison familiale, le ravitaillement bienvenu pour le repas du soir. Il faut savoir que la période sort à peine des restrictions alimentaires issues de la pénurie de la guerre.

La correspondance élargie à Cambrai : Dijonnais/1924,  train en direction de Chaulnes donne certes l’occasion de visiter Cambrai, mais plus encore de mettre à profit ce temps libre pour étudier les règlements dans la salle d’attente de la gare. Dans un laps de temps plus ou moins rapproché, le constat théorique de Facteur-Chef sera programmé, avec passage dans les bureaux de MM Lethellier et Pinson, les Inspecteurs de la Circonscription.

Toute cette organisation aurait pu être mise à mal par la divulgation d’une information venant de la gare de Péronne. Un bruit insidieux a pressenti le nouvel arrivé à Épehy pour rejoindre, en permutation, cette dernière gare, la dernière sur la ligne faisant partie de la Circonspection de Cambrai. Sachant cela, l’éventuel permutant se fait un devoir d’aller sur place un après-midi de dimanche d’inactivité, pour juger sur place ce qu’il est en droit d’attendre. En fait, la rumeur en restera au stade de  «l’on dit ». Il n’aura, in fine, qu’à goûter la satisfaction d’occuper la petite chambrette bien propre, fleurant bon la récolte de pommes et de poires. Il continuera à la quitter le matin à 3 heures 45, pour assurer les premières matinées à son compte, dans un horaire 4/12.

"L'enfant de la maison"

La fin septembre se précise avec la fête d’Épehy. Belle arrière saison s’il en est, qui commence, dans la fraîcheur matinale, le début de la campagne betteravière, attendue dans une fièvre agricole et ferroviaire ! Tout le pays semble se régénérer pour les trois mois à venir et connaît déjà la recrudescence des activités qui lui sont propres. BULAN ne désemplit plus à longueur de journée. Nicolas HIEZ, le propriétaire logeur, est dans ce concert sucrier, un acteur influent. Il est le « basculeur » de la Sucrerie d’Escaudoeuvres et à ce titre ne peut avoir que des relations très soutenues avec la gare. A lui, échoit en particulier la demande de wagons vides, la confection et remise des feuilles d’expéditions, la signature des fiches de livraison des wagons de pulpes, etc.

Les relations avec son locataire vont ainsi se superposer aux relations professionnelles pour en sceller d’autres, plus amicales, vite transformées en quasi-familiales. Le jeune esseulé de l’étage se voit rapidement invité à la table du couple. Quand le froid va s’insinuer, plus vif, il ne sera plus question de dormir dans la chambre sans feu, mais bien dans le salon, à proximité du radiateur du chauffage central.

Nicolas fait partie d’une famille connue dans tout le terroir. Il est normalement courtier en grains et en semences et, en campagne, responsable à la fois de la «bascule » d’Épehy, mais aussi de quelques autres aux alentours, sorte de cadre préposé à la garantie des intérêts de la Sucrerie d’Escaudoeuvres. Ces responsabilités lui confèrent une connaissance étendue dans la campagne environnante ainsi qu’un préjugé favorable. Il a un frère dans le pays, moins bien vu que lui, plusieurs autres à Happlincourt et Lebucquière près de Bapaume, une sœur à Ribécourt-la-Tour près de Marcoing. Il vit avec son épouse, Léontine, propriétaire en titre de la ferme, personne très pieuse, très lettrée, un peu dans le genre «vieille France ». Malheureusement le couple n’a pas eu la joie d’accueillir un descendant et il reporte son affection sur les neveux et nièces. Très souvent plusieurs fois par mois et pendant quelques jours, il a la visite de nièces d’Happlincourt ou de Ribécourt ; Germaine, la préférée de Léontine, Madeleine qui est fiancée avec un jeune homme des environs de Bapaume, la fille de Mme Lesage dont le prénom n’apparaît plus à la mémoire

C’est dans ce contexte que les longues soirées d’hiver sont mises à profit pour faire de non moins longues parties de cartes, car tous deux sont des fans des jeux de société. Ne vont-ils pas faire, une fois par semaine, la partie de bridge avec les pharmaciens, dont la boutique se trouve au carrefour de la rue principale et celle qui monte en gare. « L’Attaché d’Épehy » va devenir dans cet environnement chaleureux, quasiment «l’enfant de la maison ». Il sera surtout le partenaire idéal pour des interminables parties de manille aux enchères, plus relevées que les ennuyeuses réussites, apanage des deux seuls partenaires. Elles durent, elles durent, ces parties, de plus en plus étoffées au fur et à mesure que les jours passent. Elles n’ont cure, hélas, de la perspective du réveil extra matinal à 3 heures et demi, pour une prise de service à quatre heures. La jeunesse n’a cure de ces nuits sans sommeil, avec une force de récupération inégalée.

Que soient adressés, à ce couple vraiment sympathique aujourd’hui disparu, hommages et remerciements, de la part de celui qui a trouvé auprès de lui une «seconde famille » ! Est-il besoin de souligner que le jeune homme n’est jamais parti, en extrême matinée, sans boire le petit café encore chaud dans la cafetière, placée sur la platine tiède de la cuisinière.

Le voilà donc, au milieu de la nuit, parcourant les rues désertes du village endormi, bien froides et embrumées. Il lui appartient d’ouvrir la gare à la clientèle après la période d’interruption nocturne du service. Pour ce faire, il n’a qu’à prendre la clé, à l’intérieur de la lampe à pétrole du sémaphore, après, au préalable, l’avoir descendue de son mât. La veille au soir, après le passage du dernier train Paris-Cambrai-Valenciennres de 20 h 45 /21 heures, le prédécesseur a amené la dite lampe, l’a éteinte, puis l’a remontée en haut avant son départ, nantie de son précieux sésame. Chacun sait dans le monde cheminot que la clé d’une gare, fermée la nuit, se trouve à cet endroit précis, connu des initiés et utilisateurs, intérimaires et autres.

Une petite gare pas si tranquille !

Dès l’ouverture, il faut tout aussitôt avec le concours de l’homme d’équipe, sortir l’autorail VFIL1, Vélu/St Quentin, de son dépôt pour le mettre à quai. Il assure la première desserte de la journée vers Vélu, avec correspondance vers Bapaume et en sens inverse vers Marcoing. Mais, qui peut bien prendre le train à cette heure insolite ? Un très épisodique voyageur se présente, à qui il faut délivrer un billet adéquat. Cela s’est peut-être présenté deux ou trois fois durant tout le séjour. En fait, l’autorail ne voit sa véritable utilité que plus avant sur le parcours, dans les gares qui le voient passer à des heures plus chrétiennes. Il n’en a fallu pas moins procéder à l’ouverture de la gare à la sécurité avec tous les établissements voisins ; Heudicourt et Ste Emilie sur la voie unique, Gouzeaucourt et Roisel sur la double voie SNCF. « Épehy à gare de... Je reprends le service à la sécurité à... h...…m. »

L‘autorail doit partir à l’heure prévue, muni de son bâton pilote, plaque nominative en bronze, retirée à l’arrivée et remise impérativement au mécanicien, gage de la parfaite sécurité des circulations sur voie unique. Le respect de l’horaire est impératif car l’autorail croise à Heudicourt, la gare voisine, distante de sept à huit kilomètres, son homologue en sens contraire, parti de Vélu vers St Quentin, assurant à Épehy la correspondance avec le premier train Nord de la journée (l’appellation subsiste préférée à celle plus actuelle de SNCF, âgée seulement d’une dizaine d’années) en direction d’Amiens via Chaulnes.

Fig. 7. L'autorail VFIL (Coll. P. Thomas).

 

Le programme est intangible. Il faut garantir aux voyageurs matinaux, plus nombreux cette fois, un report programmé pour la suite de leurs déplacements. Malheur si un lever tardif de l’un ou l’autre acteur vient gripper une mécanique d’extrême précision.

En tout cas, au passage du 1902, autorail SNCF, il y a lieu de décharger des tonnes et des tonnes de journaux et magazines et, les jeudis et vendredis, des dizaines et des dizaines de caisses de marée, gluantes de glace, à l’intention de tous les villages environnants de la Somme et de l’Aisne. Les essieux du petit autorail rouge en correspondance en sont, à certains jours, à ployer sous le poids des caisses, à destination des gares qui vont de Ste Emilie à Roisel, Hervilly et plus loin vers St Quentin.

La matinée est déjà bien engagée à 5 h 30/6 heures. Il n’y a plus qu’à attendre le «Parisien » Valenciennes-Paris, pompeusement affublé du titre d’express. Cette fois, il y a vraiment du monde. Le 1908 est pour beaucoup une véritable porte ouverte vers la capitale et de plus, il achemine quelques abonnés journaliers, accortes secrétaires ou institutrices, allant travailler comme employés, à Roisel, Péronne et même Chaulnes. La délivrance des billets pour toute la France et l’enregistrement des bagages sont des travaux de routine mais qui demandent néanmoins une attention et une technicité soutenue.

Aussitôt l’express disparu dans la descente de Roisel, l’omnibus en direction de Cambrai s’annonce pendant que le train de desserte qui amène les wagons à destination des clients de la gare et aussi, ceux reliés par le chemin de Fer secondaire en particulier la Sucrerie de Ste Emilie, monte péniblement la côte depuis Gouzeaucourt.

Il arrive avec des rames de wagons de charbon qui s’en vont alimenter les machines à vapeur, fournissant la force motrice de l’usine. Les manœuvres longues et difficiles, suite à la configuration du terrain en haut de la côte, sont sous la responsabilité du Chef de Gare lui-même. La période 10/12 heures semblent être un peu plus calme, mise à profit pour arrêter les pièces comptables, susceptibles d’être exploitées par le commis de 2° classe, PAGNIEZ. Il a en charge la comptabilité journalière sur le fameux état CC 502, mais aussi sur le CC 314, relatif au réseau secondaire. Ce dernier est plein de particularités et de chausse-trappes, réminiscence d’une comptabilité révolue à la SNCF, mais toujours en application sur le «petit train » dans le contexte appliqué lors de la création du Chemin de Fer au XIX° siècle. Épehy est reconnue officiellement comme gare commune. A ce titre elle est astreinte, à ces deux obligations comptables, une s’appliquant à la SNCF, l’autre à la Compagnie secondaire. Pour compliquer une situation déjà ambiguë, la taxation des colis en réinscription est également celle appliquée depuis l’ouverture de la ligne dans les années1870. Le travail de transit devient vite une spécialité, pleine de finesse, qu’il faut assumer avec bonheur, quoiqu’il arrive. Taxation, retranscription, tarifs préférentiels, inscription des débours et des au-delà à ventiler et à affecter aux expéditeurs ou destinataires en fonction des clauses particulières, sont le lot quotidien du Facteur-Enregistrant de matinée.

Comme la période 10 /12 ne suffit pas, il faut la matinée du dimanche pour écluser tout ce patchwork administratif et comptable. Plus calme, elle est mise à profit, pour une mise à jour complète, afin de redémarrer la semaine dans de bonnes conditions.

A partir de 11 heures 30, l’occupation se polarise sur la réception des colis de détail parvenus par le train spécialisé de messageries 4881. Aussitôt le déchargement, commencent les opérations de reconnaissance et de mise en livraison pour le correspondant, M LOBRY, qui doit commencer sa tournée locale et suburbaine, dès 14 heures. Les états de transmission doivent être prêts pour lui, avant 12 h 30, car il vient chercher les colis dans la période du déjeuner.

La fin du service à 12 h30 sonne sans que, bien souvent, l’on s’en aperçoive. La coupure d’une demi-heure dans la matinée ! Un simple trait pointillé dans le tableau de service ! « L’attaché momentanément picard » n’a plus qu’à aller prendre son repas au restaurant BULAN qui l’accueille, Place de la gare, dans la fièvre de moults apéritifs, ingurgités au comptoir par les habitués alcooliques du coin. Systématiquement, ils font la tournée des trois cafés limitrophes.

Quand il est de service d’après-midi, le jeune agent se présente à 13 h 30, même un peu avant, car le rythme est aussi soutenu que dans la matinée, même double dans la période de 15/16 heures. La trêve est de courte durée après le passage de l’omnibus 1915 de 14 h 10 vers Cambrai. Alors, intervient la période de taxation et d’enregistrement des expéditions amenées en gare par les deux tissages. Ces derniers conjuguent leurs heures de remise pour noyer littéralement le Facteur-Enregistrant sous une avalanche de colis postaux, de colis internationaux, de petits colis et de détail. Les minutes de presse sont au paroxysme de l’énervement, au moment du passage du train de voyageurs Cambrai/Amiens avec en correspondance les «teufs-teufs » vers St Quentin et Vélu. Ils n’ont rien trouvé de mieux que de se croiser à Épehy. La correspondance voyageurs se double du chargement des colis pour les gares de la ligne. La taxation des expéditions de détail, à peine terminée, se noie dans l’apposition des vignettes taxes, sorte de timbres ferroviaires qui reflètent en clair sur le bulletin, la taxe afférente à l’envoi. Tout le monde est à la fête dans une sorte de communion fébrile car tous les envois doivent être chargés dans l’affectation du train de messageries 4884 qui suit le voyageur à 16h 15, vers le transbord d’Amiens. Quand il arrive, tout le personnel, y compris le Chef, est mobilisé pour le chargement. Le summum de l’agitation se produit quand le marchand de machines agricole a jugé utile d’expédier, une ou deux fois par semaine, des charrues, bisocs, semoirs ou autres instruments aratoires. La confection d‘affectations conditionnelles (wagons spécialisés) se double alors de manœuvres de raccrochage de ces wagons au train, opération réservée à l’homme d’équipe sous la surveillance du Chef. Il doit lui donner les autorisations nécessaires pour le dégagement des clés Bourré. Sans elles, la manœuvre ne peut s’inscrire en toute sécurité.

Le calme ne revient qu’après le départ de ce train encore squelettique. Il ne doit connaître son amplitude maximale qu’à l’approche de son lieu de destination après avoir ramassé la marchandise dans tous les établissements entre Cambrai et Amiens. Seuls quelques colis, par la force des choses, restent épars dans la salle des pas perdus. Ils ne connaîtront leur envol que le lendemain. Mais que le lecteur se rassure ! Il s’agit d’envois pour Pékin, Caracas, Vladivostock ou autre Syndney ou Hong-Kong. Le retard de 24 heures ne sera guère perceptible sur une distance aussi longue.

Toute cette agitation commerciale, cela va sans dire, doit se dérouler dans le strict respect des règles de sécurité pour les diverses circulations ; couverture des trains par sémaphore ou disque en double voie, passage de dépêches et ouverture préalable des signaux pour la voie unique. Il ne s’agit pas de transgresser le règlement car des catastrophes pourraient se produire. Heureusement que la densité des mouvements est relativement faible.

A peine, le jeune employé, a-t-il le temps se remettre de ce tohu-bohu post méridien que le train de desserte wagon, Chaulnes/Cambrai, s’annonce pour enlever les véhicules à destination du Nord. S’il lui appartient de surveiller les opérations de sécurité, les manœuvres, restreintes faut-il le dire, restent l’apanage du Chef de gare en personne, avec l’homme d’équipe. Pendant ce temps, doit être assuré le service du dernier omnibus 1942 qui ramène de la Cité des Bêtises, la clientèle ouvrière partie le matin. Elle est relativement importante. Mais Épehy, même encastré géographiquement dans les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de l’Aisne, conserve son pôle d’attraction économique orienté vers Amiens le chef-lieu du département. Dans la remorque de l’autorail, a pris place l’ambulant PTT qui assure la «dépêche » du jour, vers le chef lieu. Cette particularité a au moins l’avantage, en guise de pause, de faire la conversation avec la jolie postière qui a amené le courrier. Elle n’en demande pas tant et répond avec autant de gentillesse. Il arrivera même, qu’elle vienne en gare, le dimanche après-midi, avec des copines, entre le passage des trains de voyageurs. Il faut bien que jeunesse se passe !

La fin de l’après-midi est mise à profit pour compléter le travail de bureau quelque peu malmené, avant de procéder à l’appel du casier à billet et à l’arrêt de caisse, après le passage de l’omnibus 1931 en direction de Cambrai vers 19 h 15. Il n’y a plus qu’à attendre l’arrivée de l’express 1933 en provenance de Paris. Il y a une certaine affluence à la descente, surtout à la veille des fêtes, sûrement plus qu’à la montée, le plus souvent inexistante. Il s’agit du dernier convoi de la journée à circuler sur la ligne, avant sa totale fermeture pour la nuit. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à s’assurer de la présence de deux falots de côté, de couleur verte, sur la face arrière du dernier fourgon de queue.

Il faut pourtant se méfier de ce train. Il est remorqué par la tonitruante, et pour le moins, capricieuse Pescara, prototype de la locomotive turbo, en cours d’essai. Il ne manque pas de jours où elle tombe en panne ce qui occasionne un retard. Contre mauvaise fortune bon cœur, il faut attendre, quoiqu’il arrive. La chose la plus horrible serait qu’elle n’arrive pas à monter la côte, avec toutes les conséquences de la demande de secours. Dieu merci cela ne se produira pas.

Travail ininterrompu pendant huit heures, certes ! En campagne de betteraves il se voit encore accru dans des proportions importantes en tous domaines : manœuvres, administration, comptabilité, remises plus fortes. Ce n’est pas le renfort du «contrôleur sucrerie » personnalisé par les Intérimaires de 3° classe, Cousin ou Leleu, qui peut régler tous les problèmes. Il ne manque pas de jours où, en plein automne brumeux ou pluvieux, on se trouve à patauger dans la boue ou la pulpe, à 20 h 30.

Réminiscence de ces jours intenses ! Ils sont à peine concevables dans le métier d’aujourd’hui. Que de temps passé, de difficultés surmontées, d’altercations de toutes sortes, d’appréhensions ressenties à la suite de faits et gestes «peu orthodoxes », bien éloignés d’un règlement drastique ! Le moindre faux pas au cours d’une manœuvre ! Le wagon s’en va à la dérive sans que l’on puisse l’arrêter sur-le-champ, pouvant alors provoquer la catastrophe à tout instant. Qui n’a pas vécu ces jours de pincement au cœur mais aussi d’exaltation, ne peut s’imaginer ou concevoir le travail de l’époque dans une gare betteravière !

C’est pour cette raison que l’auteur se devait d’insister sur cet aspect particulier du métier. Il voit, bon an mal an pendant trois mois, l’expédition et l’arrivage de deux à trois mille wagons de cette unique marchandise et le transit d’un nombre équivalent, de véhicules en provenance et à destination de la «petite ligne ». C’est en fait un trafic énorme pour une gare où les possibilités sont, somme toute, restreintes. Ce trafic disparaîtra une quinzaine d’années plus tard, victime du progrès des techniques et, faut-il le dire, du peu d’esprit commercial de la SNCF, en recherche, dira-t-elle, d’une rentabilité optimale. «Ces raisins sont trop verts et bons pour les goujats. » La Fontaine avait raison deux siècles plus tôt. La vérité sur ce point précis, apparaît criante, même si la perte du trafic a réjoui certains responsables, étant données des difficultés qu’elle engendrait.

Sans être un nostalgique du passé, les «campagnes betteraves » ont marqué le jeune cheminot comme elles ont marqué des générations d’employés, au point de susciter chez eux des souvenirs qui ne peuvent s’effacer de leur mémoire. Ceux qui exercent le métier aujourd’hui feraient bien d’y faire référence, quand ils expriment des revendications bien souvent démesurées.

L’Attaché se conforte au fil des jours dans son rôle de Facteur-Enregistrant tout au long de la campagne 50/51 et dans le premier trimestre de 1951. Il taxe, vend des billets pour toute la France, manœuvre, manutentionne, passe les dépêches de sécurité en double voie mais aussi en voie unique, avec son cortège de changements de croisement et de manipulation de bâtons pilote. Encore est-il que c’est précisément à cette époque que pour des raisons d’économie, les VFIL en réduisent le nombre, en augmentant le kilométrage des sections. Après cet intermède intensif, il est au faîte du métier de base, théorique et pratique et n’a aucun mal à satisfaire au constat de Facteur-Chef, lors de sa convocation devant les Inspecteurs Mouvement et Trafic de l’Agence.

Il prend des habitudes, ne serait ce que celles de couchers de plus en plus tardifs à rapprocher des levés toujours très matinaux. Au «manoir HIEZ », il est reconnu comme faisant partie de la famille, bien au chaud, au cours des longues soirées d’hiver. Celui-ci est précoce. Dès le début décembre, après un mois de grisaille et de brouillards persistants qui ne facilitent guère le travail, il se manifeste en force par des chutes de neige importantes. Elles vont aller en empirant jusqu’à la fin de l’année. Prémonition peut-être de sa part, le «picard » a posé des congés pour une partie du mois, incluant la fête de Noël. Il vivra la période blanche au sein du foyer familial, assistant pour la circonstance aux exercices de la mission prêchée à l’église St Michel.

Lors de la reprise, entre Noël et Nouvel An, il n’a plus qu’à assister à la fonte de la poudreuse. Durant son absence, quelle situation ! Les congères de plus d’un mètre de haut ont recouvert remblais et talus, poussés par des vents glacés importants. Toutes les voies ont été enfouies arrêtant tout service durant quelques jours sur l’artère principale. Quant à la  ligne «à z’aile » elle a disparu corps et biens dans les contreforts, d’Heudicourt, Révelon ou Ste Emilie. Il a échappé à l’enfer blanc de 1950, dans la petite «Sibérie » picarde.

Au moins, à son retour au haut de la côte, a-t-il l’avantage de faire connaissance avec son nouveau Chef. Le père Cornet, personnage haut en couleurs, ami personnel de M Plouviez, Chef du Service de l’Exploitation de la Région Nord SNCF, avec qui il a partagé les bancs de la communale à Villers-Guislain, est arrivé de Marchelepot. Il doit assurer le remplacement définitif de l’Attaché Audet, par qui le scandale initial a été déclenché. Ce dernier après une brève apparition courant novembre durant sa convalescence, s’est évanoui dans la région parisienne avant de disparaître définitivement des effectifs de la «Grande Maison »

Le nouveau chef est un pur produit du terroir, plus apte aux occupations horticoles qu’à des responsabilités ferroviaires. En un mot, il est le vieux cheminot possesseur du «certificat 3 » mais plus porté sur la partie pratique. De plus, c’est le «brave type » dans toute l’acception du terme qui ne veut pas d’histoires « Faites gaffe à vos crosettes, el z’infants et tout ira bien ». Madame Cornet est la ménagère de Villers-Guislain, bien au fait des recettes de tartes. Le 1° janvier 1951, la présentation des vœux revêt un caractère familial et bon enfant, ponctuée d’apéritifs pétillants à l’appui d’une quantité appréciable de quartiers de tarte «à libouli » ou «au sucre ». Après la réception, le père Cornet et son épouse doivent aller chez leur fils, sous-chef à Albert

L’intermède terminé dans la bonne humeur avant le repas de midi, sous un ciel radouci qui fait fondre la neige au sol mais annonce en même temps des averses à venir, il est temps à 13 heures d’assurer le service d’après-midi. Jour de fête, la soirée doit se dérouler sans sujétions particulières, avec un mouvement de voyageurs plus soutenu qu’un dimanche ordinaire sur des déplacements plus courts. L’encombrement des routes par les plaques de verglas et le nombre encore restreint de voitures automobiles favorisent l’emprunt des trains omnibus pour la présentation des vœux. Le Facteur-Enregistrant profitera du calme pour rattraper le retard administratif et comptable, accumulé les jours précédents à cause de la campagne intensive qui se termine.

Un mémorable 1° janvier 1951

Le passage à la nouvelle année n’empêche pas, Dieu merci, de mettre à quai vers 15 h 00 la motrice Vélu pour un départ vers St Quentin, après avoir relevé la correspondance de l’autorail en provenance de Cambrai. A 14 h 30, l’homme d’équipe préposé au "dégarage", se présente à la porte du petit dépôt campagnard au bout de la gare. Il n’obtient bizarrement pas de réponse. Le conducteur affecté au voyage, qui n’est pas le titulaire, est affalé sur le lit de service, psalmodiant des mots incompréhensifs. Il est incapable de se présenter dignement au pupitre de son engin. Les apéritifs répétés aux comptoirs, de chez BULAN ou ailleurs, se sont multipliés, au point d’avoir raison d’un organisme, plus ou moins à jeun, et d’une volonté fébrile qui a sombré dans le parfait éthylisme. L’autorail ne peut pas circuler dans de telles conditions, au grand dam des clients cambrésiens qui comptent bien pouvoir présenter leurs vœux à leur lointaine parenté picarde.

La situation est tendue. Il faut faire face et aviser. Sur-le-champ la carence de circulation entraîne de nombreux problèmes de sécurité et administratifs La désorganisation sur la ligne est totale, consécutive aux changements de croisement avec les mouvements de sens contraire qui doivent circuler malgré tout. L’absence de bâton pilote à la gare précédente ou suivante doit être pallié par toute une panoplie de dépêches, à enregistrer sur le livre de circulation.

Il n’y a plus en fin de compte, qu’à appeler l’agent d’astreinte du Chemin de Fer secondaire à St Quentin, dans la mesure où l’on peut espérer se rapprocher de lui, en ce jour de fête. Il lui appartient de prendre la décision pour acheminer les voyageurs et faire assurer la conduite par un agent de remplacement. Ce n’est pas évident dans de telles circonstances.

Que fait-on des voyageurs en panne à Épehy ? La déconvenue fait vite place aux récriminations acerbes formulées, à haute et «très intelligible » voix. Enfin de compte ils sont acheminés par taxis, toujours dans la mesure où il y en a un de libre. Il faut faciliter les entretiens téléphoniques (par inter), entre les voyageurs et les personnes qui les attendent.

Et puis surtout, la situation de l’intéressé est-elle aussi grave qu’il n’y paraît ? Vers 17 h 00, l’amateur de pastis se réveille. Il arrive en gare en titubant. Il s’étonne de son réveil tardif et s’emporte contre celui qui a omis de le faire réapparaître à la surface en temps opportun. Il invective tout le monde d’une voix pâteuse et mal assurée. Il entend qu‘on lui donne le signal de départ pour assurer son service. S’estimant en parfait état, apte à une conduite irréprochable, il menace de toutes les foudres ferroviaires ceux qui volontairement osent surseoir à son départ.

Dilemme pour le chef de service ! Doit-il le laisser partir, oui ou non ? Est-il prudent de confier la vie d’éventuels voyageurs à quelqu’un dans cet état, embrumé d’alcool, tenant à peine debout sur ses jambes, avec des paroles à peine incompréhensibles et inconsidérées. La responsabilité d’un éventuel accident serait, à juste titre, reportée sur celui qui a permis un tel état de fait. Même si elle se voyait atténuée par toutes sortes de circonstances, ne resterait-elle pas morale, au point de gâcher une vie tout entière !

La réponse ne se fait pas attendre. L‘agent de la mise à quai de l’engin ne peut que constater l’état du plancher en ouvrant la portière. Il est jonché de vomissures nauséabondes qui révèlent l’ampleur du délabrement stomacal de l’individu.

Il n’y a plus de question à se poser.

L’appel du médecin local SNCF, s’avère impératif pour statuer sur la possibilité ou non d’un départ. Si la formule se révèle facile sur le plan de la décision, elle l’est beaucoup moins sur celui de la réalisation. En cet après-midi du Nouvel An, le médecin est-il chez lui ? Rien n’est moins sûr. Sinon, il faudra faire appel à un confrère de garde, non agréé de la SNCF ou à un autre de Roisel. Par bonheur le «père » TRICOT est à son domicile, fêtant, comme il se doit, l’entrée de 1951 dans l‘actualité picarde.

Mais quelle réception au coup de téléphone ! La brave docteur ne trouve guère la plaisanterie à son goût. Il est en pleine réunion familiale. Après maintes discussions, il condescend à se déplacer en gare. Il lui faut un certain temps et aussi un temps certain pour y parvenir.

Durant l’attente du patricien, l’énergumène dont l’identité reste inconnue à la mémoire, se répand en vociférations et invectives dans un langage adapté à la situation, sûrement peu académique. Notons toutefois qu’au fil des heures la situation semble revenir à un peu plus de sérénité, Il entend vouloir repartir et le fait savoir avec force.

La visite médicale a lieu vers 18 30/19 heures dans le bureau du Chef de Gare. Le résultat ne devrait pas faire de doute. La sentence tombe : « Embarras gastriques. Quatre jours d’arrêt et de repos ! » Avec une telle conclusion rien ne s’opposerait à ce que le conducteur se remette aux commandes de son engin, bien qu’aux yeux de tous, il présente les symptômes du comportement éthylique.

Le jeune Attaché, Chef de Service, n’a plus qu’à se remettre en communication avec les autorités VFIL de St Quentin. Les quatre jours de «repos », octroyés généreusement par le médecin, sont une bonne raison pour ne pas accéder aux injonctions du quidam. Les responsables ont compris. Depuis le début de l’affaire, ils se sont mis en quête de trouver un remplaçant et envoient un nouveau conducteur par la route pour procéder au remplacement. Il n’y a plus qu’à attendre. La motrice vide d’occupants, nettoyée sommairement, s’ébranle d’Épehy vers 21 heures 30 avec un retard de six heures, environ. Il est inutile de souligner la pagaille qu’a engendré ce contretemps pour les autres mouvements, dans leur progression "desheurée", privés de l’indispensable bâton pilote.

Le supplément d’heures de service occasionné par cet «incident » gastrique n’aura même pas le don d’une compensation ou d’une rémunération pour heures supplémentaires. Le lendemain, le Facteur-Enregistrant n’a plus comme ressource, que d’expliquer tous ses tracas, dans le cadre d’un rapport circonstancié, avec l’éventualité de reproches pour ne pas avoir appliqué correctement et à la lettre le règlement en vigueur pour la circonstance. Ce ne sera pas le cas.

Triste premier Jour de l’An 1951, plein d’enseignement pour un jeune, encore plein d’illusions ! Il en tire des conclusions hâtives. Au Chemin de Fer, on peut se soûler à refus. Tout ce qu’on risque, c’est de se voir gratifier de quatre jours d’exemption de service pour embarras gastrique survenus en service. En ce jour, pour l’Attaché, les médecins SNCF ont perdu un peu de leur aura.

Adieu rattrapage du retard accumulé les jours précédents ! Le travail journalier a repris aussi absorbant qu’en 1950.

Sans une autorité bien appuyée, le brave Chef se voit absolument dépassé par les frasques d’un nouveau Facteur-mixte, venu en déplacement disciplinaire, de la gare de TRICOT. Ce garçon qui ajoute, bêtises sur bêtises, n’est autre que le fils du Directeur des Chemins de Fer du Cambrésis. En guise de sanction, la mutation lui permet de rapprocher la maison parentale car il vient de divorcer dans des conditions difficiles. Loin d’être dénué de capacités intellectuelles, Delfolie travaille correctement, mais quand bon lui semble.

Le dimanche après-midi, du fait de sa position géographique, la gare devient un lieu de promenade quand le temps est clément. Elle est amplement sollicitée par la gent féminine plus ou moins sérieuse d’Épehy. Il faut des réprimandes musclées de la part de l’Attaché, Chef de service, pas toujours suivies d’effets hélas, car cet agent quitte son poste pour s’évanouir dans la nature, sans que l’on sache où il est parti. Les visites impromptues dégénèrent souvent en cohabitation spéciale, pas toujours orthodoxes, dans le dépôt des autorails VStQ.

Qui a égaré le bulletin à 0 F.60 ?

Un incident étranger à la gare d’Épehy va être, dans le courant février, le motif pour que le jeune stagiaire, auréolé de son succès au constat de Facteur-Chef, soit justiciable du premier et seul blâme de sa carrière. Encore est-il qu’il n’est pas porté au dossier (blâme simple) étant donnée la légèreté de la faute.

Sur la voie unique, un agent VFIL a cru bon, pour arrondir ses fins de mois, de ne pas prendre en charge les frais de transport de quelques wagons enregistrés en taxation directe. Naturellement, il a encaissé les sommes de la part des destinataires mais a «oublié » de les rentrer en livre de caisse. Il s’ensuit à posteriori, avec des mois de retard, une succession de redressements comptables. Arrivant à la gare de jonction, ils sont aussitôt dirigés sur la comptabilité «Réseau secondaire » pour régularisation. En fait, l’agent indélicat a procédé au système dit de «cavalerie » en couvrant un trou de trésorerie par un encaissement à venir. L’affaire a duré plusieurs années.

Sur le plan comptable SNCF, tout est enregistré en fonction de la somme portée au départ avec l’encaissement à la gare d’arrivée : Épehy Transit. L’accumulation de rectifications, au nom de la gare d’Épehy ne peut que faire réagir les services spécialisés parisiens de la Comptabilité des Recettes. « Il se passe des malversations dans cet établissement. » C’est pour cette raison qu’une expédition de contrôle est programmée pour passer au peigne fin tous les compartiments de la gare. Un commando de quatre à cinq inspecteurs comptables spécialisés débarque, vers 11 heures, par le train de matinée en provenance d’Amiens.

Tout démarre très mal, dès leur arrivée.

Ils ont remarqué, au passage à Roisel, que les gendarmes de la brigade du canton ont emprunté le train avec leur bicyclette, sans avoir procéder à un enregistrement préalable. Une certaine collusion existe entre maréchaussée et monde cheminot, quelquefois bénéfique à l’une et à l’autre partie.

Le responsable du groupe a trouvé dans ce manquement un sujet d’attaque vis-à-vis d’agents, soupçonnés de malversations habituelles, puisqu’il n’y a eu aucune réaction de la gare à «l’infraction » des «pandores ». Joseph l’Intérimaire qui, ce jour là, fait fonction de Chef de Gare, est pris à partie sur le quai. Certes les braves gendarmes ont la bonne réaction de régler les frais d’enregistrement de leurs engins, sans demander d’explications complémentaires.

Il n’empêche que les réflexions pleuvent à l’entrée dans le bureau. Derechef, un Inspecteur met arrêt sur la caisse et sur le casier. Par bonheur, il avait été refermé après la délivrance du dernier billet. La méthode, aussi brutale soit-elle, n’est pas unique mais il est clair cette fois qu’il faut trouver un coupable à tout prix.

Tout ce que la gare contient de possibilités comptables est passé au crible avec signalement de la plus petite malfaçon. De service au guichet, le jeune Attaché reçoit en ricochet, les propos peu amènes de ce quintette de choc. Il doit s’exécuter devant la volonté parisienne. Heureusement, il agit dans le cadre de la réglementation. Ses livres sont tenus à jour et le travail ne donne pas lieu à remarques importantes.

Il sera cependant pris en défaut sur un point minime. La mise en consigne fait l’objet d’un enregistrement numéroté. Le bulletin doit être récupéré de l’usager au moment où il vient rechercher son bien. Il est alors collé sur la souche numérotée initiale. Que s’est-il passé pour un seul bulletin manquant ? Il reste introuvable. Qu’est-il devenu ? L’insistance du jeune inspecteur se fait pressante. Les recherches sont lancées dans tous les tiroirs, casiers, placards, rayonnages en dessous des guichets. En vain ! L’opération dure plus d’une heure. Le fichu bulletin reste introuvable. Le coût de la consigne a bien été encaissé et porté comme tel sur le livre comptable, mais la pièce justificative manquante ne peut en attester le montant et confirmer la véracité de l’encaissement. La réprimande est sévère, sans commune mesure avec l’ampleur du «délit ». La négligence porte sur la somme importante de…. 0 franc 60. Quelle catastrophe ! Dans les mois à venir, l’Attaché déjà éloigné d’Épehy aura le «plaisir » de se voir adressé une demande d’explications écrites et de signer un blâme sans inscription. La loi est dure mais, à la SNCF, elle reste la loi. Le signalement aura sûrement le mérite de conforter le jeune Inspecteur-vérificateur dans son efficacité, gage pour lui d’un possible avancement grâce à sa perspicacité.

Le «père Cornet » n ‘a plus qu’à faire contre mauvaise fortune bon cœur. L’inspection dure trois jours pour ces inquisiteurs soupçonneux. L’Attaché échappe en partie au carnage investigateur, à la poursuite de l’agent indélicat désigné d’office par les bureaux parisiens. Il retrouve les exécuteurs des hautes œuvres, le surlendemain après-midi, lors de son retour après une journée de repos. Ils sont sur le départ. Avant de quitter les lieux, ils avouent au Chef qu’ils sont venus avec des idées bien arrêtées pour découvrir l’auteur des malversations signalées depuis de nombreux mois. Ils avaient oublié tout bonnement de se renseigner avec précision. Une enquête approfondie leur aurait permis de déterminer la cause réelle de ces non prises en charge. Les redressements étaient systématiquement reportés sur la comptabilité du Réseau Secondaire.

Cette anecdote n’en est pas moins restée une leçon pour l’avenir. L’agent sanctionné à Épehy, sera appelé plus tard à remplir des fonctions d’inspection comptable. Il aura à intervenir dans une sombre histoire d’argent beaucoup plus grave, en gare de Valenciennes.

La vie continue...

Le train-train d’une gare active, plus calme après la campagne, s’instaure avec les premiers jours de mars. Très anxieux six mois auparavant, le faisant fonction de Facteur-Enregistrant se prend à redouter l’avenir car il semble que la période de stage touche à sa fin. Il connaît désormais un tas de monde sur place, depuis le maire, dépositaire de journaux qui arrivent tous les matins en gare par sacs entiers, jusqu’aux clients «éminents » : BAUDELOT, LECONTE, SANTI, qu’il est préférable de ne pas rencontrer quand ils ont pénétré chez BULAN. La résistance, si elle est passive, n’en est pas moins efficace. Mme BULAN d’un geste discret offre souvent un apéritif avant de déjeuner, pour effacer les ardoises, laissées après un passage au guichet.

Toute la frange d’usagers journaliers lui est connue, prenant le train pour Cambrai ou Roisel. Avenantes et coquettes, les secrétaires ont toujours le mot de bienvenue quand elles passent sur le quai. Même l‘accorte postière n’en continue pas moins ses opérations de charme. Mais le jeune a autre chose à penser car sa situation n’est pas totalement assise. L’étude des règlements s’impose, interrompue en soirée par la partie de manille avec Léontine, transformée quelquefois en partie de bridge chez les pharmaciens PAUCHANT, amis de Nicolas. Le bridge ne recueille pourtant pas toutes ses faveurs.

Ses logeurs lui sont devenus familiers, à défaut d’être considérés comme de la famille. Dans leur vieille coccinelle Peugeot 302, immatriculée XP 2, Nicolas et Léontine auront l’avantage d’être reçus à Somain dans la maison de la toute nouvelle rue Bouliez, ex rue d’Abscon, débaptisée pour faire honneur au résistant communiste exécuté au fort de Bondues pendant la guerre. Hélas, quelques rapides années plus tard, Nicolas connaîtra le cruel destin de la longue maladie et le «presque enfant de la famille » se fera un devoir de l’accompagner à sa dernière demeure. Les relations avec son épouse seront constamment suivies durant plus de vingt ans, y compris quand l’agent d’exécution d’alors, aura en charge la responsabilité de l’espace ferroviaire cambrésien. Il apprendra plus tard son départ définitif d’ici-bas par une laconique mention «décédée »portée sur l’enveloppe d’une lettre de vœux. Elle s’était éteinte six mois auparavant. Personne n’avait pensé à l’aviser. Il en concevra une réelle amertume.

Mars 1951, les habitudes sont bien ancrées. C’est à ce moment qu’il faut penser à quitter cet environnement sympathique. Après le stage de Facteur-Enregistrant se profile celui d’Intérimaire de 2° classe. Le rôle qui est dévolu est d’aller un peu partout, autour de Cambrai, pour remplacer toute la gamme de postes vacants, pour toutes raisons de maladies ou de congés, depuis le Facteur-mixte, échelle 5, poste d’exécution, jusqu’au Chef de Gare, échelle 9 ou 10, poste en responsabilité.

La sonnerie du téléphone particulier à la ligne (un coup bref, un coup long, un coup bref) retentit. Yvette Barbar, la standardiste, dont la renommée dans les domaines les plus divers…. , n’est plus à faire, passe la communication avec l’Inspection de Cambrai. Au bout du fil, P Guienne, somainois lui aussi, secrétaire de M Letellier, avec Alfred Monfront le répartiteur, annonce officiellement la nouvelle. « A partir du 1° mars, tu es affecté à la gare de Cambrai, à disposition de l’Inspection. Premier déplacement demain, Chef à Cattenières, pour deux jours. Commande écrite suivra. »

Il n’y a plus qu’à s’exécuter. Les six mois en Picardie s’achèvent. Retour en principe vers le Nord ! Mais dans ses périples, la «Picardie-Flandres » sera toujours d’actualité pendant six mois, par intermittence.

 

1  VFIL (Voies Ferrées d'Intérêt Local) : Il s'agit d'une autorité centrale, technique et commerciale, dont les bureaux se trouvaient en gare de Paris-Nord, regroupant dans le Nord et le Pas de Calais les voies locales concédées et sous la responsabilité des Conseils Généraux (précision apportée par l'auteur).


 

 


Date de création : 08/12/2014 @ 19h14
Dernière modification : 09/12/2014 @ 19h13
Catégorie : Au fil des ans...
Page lue 3538 fois


Imprimer l'article Imprimer l'article

Réactions à cet article


Réaction n°1 

par mitherob59 le 19/01/2015 @ 16h11

Ce texte m'a très intéressé. Je l'ai lu avec beaucoup d'émotion.
 Je connaissais les qualités d'auteur de monsieur Thomas que j'ai eu comme inspecteur après les changements d'organisation suite à mai 68.
 Ce texte m'a rappelé beaucoup de souvenirs. En effet en octobre 1964 j'ai été muté de Villers Bretonneux à Gouzeaucourt comme intérimaire et je suis intervenu pour des remplacements d'homme d'équipe, de facteur enregistrant,de chef de gare à Epehy, jusqu'à Roye. Les habitudes de la gare sont bien décrites, mais moi c'est Mr Legrand que j'ai connu.
Mr Cornet chef de gare je l'ai connu comme retraité,chaque trimestre c'est la gare de Gouzeaucourt qui délivrais les pensions et je l'ai souvent payé il était très agréable. J'ai par lui appris que son fils était mécanicien sur les locomotives électriques à Longueau c'était mon voisin avant que je rentre à la SNCF. J'ai remarqué les commentaires sur melle  BARBAR vous la connaissez elle nous a quitté il y a quelques années il s'agit de YVETTE LEGRAND qui habitait 1 rue des Anglais. à bientôt.

Haut